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fantômes et fantoches

ravages, elle avait causé la perte de plusieurs porcs. Soit que le soleil eût lésé leur cerveau, soit que la forêt eût sollicité en eux des velléités d’existence sauvage, quelques-uns, à la nuit tombée n’avaient pas regagné leur étable, De plus, la disette commençait et la famine était inévitable pour l’hiver.

En dépit de cet entretien, nous sentions la torpeur de la nuit d’été nous engourdir. Les criquets ne se montraient pas ; mais les astres nous hypnotisaient.

Réconforté par des rasades réitérées de cognac, je m’abandonnai à l’extase de l’heure :

— Quelle magnificence, Gambertin !

Il me railla, prévoyant une tirade.

— Oui, oui, moquez-vous, lui dis-je. C’est que moi, voyez-vous, j’aime la nature, foncièrement, comme si j’avais failli ne plus la revoir jamais, d’une tendresse de convalescent…

Un fracas dans les branches, derrière nous, m’interrompit. Nous sautâmes sur nos pieds, mais nos yeux éblouis, pleins d’étoiles, ne virent sous les bois que l’ombre épaisse. Les craquements s’éloignaient… ils cessèrent.

— Diable ! fit Gambertin, puis soudain il reprit : Tenez-vous donc mieux, Dupont, quel gamin ! J’entends claquer vos dents, La cause de ce