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le maître de la lumière

Ce tableau, que Charles décrocha pour l’examiner sous la lampe, est un « intérieur » dessiné et peint à l’aquarelle rehaussé de gouache par le peintre Lami, à qui l’on doit tant d’inappréciables documents sur le règne de Louis-Philippe et, entre autres, sur l’attentat de Fieschi dont il a reproduit le sanglant spectacle.

L’ « intérieur » représente la salle de travail de César Christiani, boulevard du temple, avec le cadavre de l’ancien corsaire, étendu tout du long du plancher dans une mare de sang, la poitrine trouée d’une balle. Au fond, une fenêtre ouverte donne sur le boulevard dont on aperçoit les arbres et les maisons d’en face. De chaque côté de la fenêtre, qui a des rideaux de fleurs bleues et vertes, on voit des panoplies formées de haches et de sabres, de pistolets et de poignards, mêlés de flèches sauvages. Le mur de droite est invisible, mais celui de gauche est garni de portraits et de cartes marines, d’un râtelier de pipes, d’une croix de la Légion d’honneur encadrée, d’un petit dessin sous verre que l’œuvre de Lami ne permet pas de distinguer, mais que Charles savait être l’image de la cabine de César à bord de la Finette (dessin resté à Paris). Un grand pastel, portrait d’Hélène de Silaz, la défunte et regrettée épouse de César, ornait encore cette muraille tapissée d’un papier fond crème à palmettes d’or, très premier Empire, avec, au-dessus d’un joli bureau à cylindre, en bois de rose, une ardoise dans un cadre de sapin, portant quelques chiffres tracés à la craie. Le bureau à cylindre est ouvert sur des tiroirs clos, des casiers contenant des papiers et des registres bien en ordre. L’encrier, les plumes d’oie sont là. Sur le dessus du meuble, il y a une profusion de choses : pot à tabac, chandelier de cuivre, bibelots exotiques, des livres et d’autres objets qu’on ne peut spécifier, le pinceau de l’artiste les ayant simplement esquissés.

Le cadavre de César est étendu les pieds en avant, la tête vers le coin de la chambre, à gauche de la fenêtre, où, dans la pénombre, s’arrondit un globe terrestre. Il est vêtu d’une redingote marron et d’un pantalon gris fer. La tête gît sur le plancher non ciré, le corps sur un tapis de la Savonnerie, à encadrement noir, qui se pro-