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le maître de la lumière

ment l’instruction. Accorde-moi deux minutes, et je reviens.

Le cabinet de Charles attenait à sa chambre. Ces deux pièces, prenant vue sur les jardins et sur le chevet de l’église Saint-Sulpice, étaient enfouies dans un silence de petite ville provinciale. Un travailleur ne pouvait souhaiter une retraite plus quiète, en plein cœur de Paris.

Pendant que Charles fouillait dans ses archives, Bertrand et Colomba, les mains enlacées, regardaient toujours le vieux César s’entretenir avec sa protégée. Il l’enveloppait d’un regard très doux, mais aussi très paternel, et la petite Henriette, gaiement respectueuse, ne semblait ni le craindre, ni toutefois le traiter familièrement. On voyait leurs lèvres remuer, leurs gestes et leurs expressions accompagner leurs paroles ; et, chose frappante, il y avait, dans ces mouvements et ces jeux de physionomie, une valeur caractéristique qui étonnait, une forme à laquelle on ne se serait pas attendu : quelque chose d’étranger — d’étranger, non pas à notre pays, mais à notre temps. On devinait qu’ils prononçaient parfois des mots tombés aujourd’hui en désuétude, et qu’à d’autres mots ils donnaient un accent qui nous ferait sourire. Bertrand se souvenait d’un très vieux bonhomme qu’il avait connu et qui ressassait : « Louis-Flippe, Louis-Flippe ; je l’ai vu passer, Louis-Flippe ! » Henriette et César, comme ce bonhomme, devaient dire : « Louis-Flippe ». Bertrand l’assura à Colomba, et, comme tout est prétexte aux amoureux pour se caresser, ils s’embrassèrent sur-le-champ, avec des rires, en l’honneur de Louis-Flippe.

Charles rentrait, portant des notes bien sanglées dans un cartonnage, et un fichier de petites dimensions. Il toussota :

— Hum ! Hum !

— À ta disposition ! fit Bertrand qui, non sans rire, s’écarta de sa fiancée.

L’historien s’assit devant une table et commença la revue de ses papiers.

— Voici, dit-il. Le 28 juillet 1835, à quatre heures du soir, une jeune fille, déclarant se nommer Henriette De-