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le maître de la lumière

rait-il donné pour lui rendre sa belle gaîté ! Mais une déférence, une délicatesse impérieuses l’empêchaient d’intervenir dans cette mélancolie, soit avec des mots, soit avec le geste qui tentait sa main et la sollicitait de s’avancer tendrement vers celle de Rita.

Aussi bien, lui aussi voyait sans allégresse la fin de ce prologue plein de fantaisie. Tous deux avaient besoin d’un dérivatif, et qui fût sérieux. Mme Le Tourneur cueillait des bruyères à l’écart. Charles et Rita, suivant la pente de leurs pensées, causèrent gravement.

Et toujours ils tombaient d’accord. Toujours, en toute chose, leurs opinions coïncidaient. Instruit dans les principes rigides d’une éducation sans faiblesse, Charles mettait au-dessus de tout la religion de la famille, la fidélité irréductible aux traditions ancestrales, l’amour filial et le respect des institutions, des croyances et des lois domestiques sur lesquelles se fondent les seuls foyers durables. Et Rita, loin de s’effaroucher d’une telle profession de foi, l’écoutait en l’approuvant. Et chacun était fort ému de découvrir en soi une pareille harmonie de jugements, qu’il s’agît de petites questions ou des plus grandes.

Ainsi le temps s’écoula, riche de leur réunion, pauvre d’une séparation que Charles supputait passagère, mais qui, tout de même, approchait — et revêtit soudain un aspect matériel, une forme visible et mouvante : celle d’une fumée grise au-dessus d’un point noir qui, là-bas, du côté de La Rochelle, grossissait sur la mer et semblait descendre vers eux.

— Le voilà ! soupira la jeune fille.

— Bah ! fit-il d’un air intentionnellement détaché.

Et ils se regardèrent sans plus rien dire et sans bouger, se donnant la clarté de leurs yeux et le sourire presque douloureux de ces lèvres qui ne s’étaient pas même effleurées.

— En route ! dit-elle. Geneviève ! le Boyardville.

Charles, songeant qu’il lui faudrait, dans trois jours, s’éloigner d’elle pour un temps, connut la misère d’une détresse enfantine.

Deux heures plus tard, le Boyardville entrait dans le chenal du port oléronnais. Le cœur battant, Charles