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la maître de la lumière

milles étaient en proie à toutes sortes de dissentiments, pour des histoires de forêts, de troupeaux, de bornages. Cependant, jusqu’au meurtre de César Christiani, aucune vendetta n’avait amené mort d’homme.

« Notez, au demeurant, que Fabius Ortofieri a toujours nié sa culpabilité et qu’il n’y eut jamais contre lui que des présomptions. Pas de preuves irréfutables.

— Il avait pris le maquis ?

— Pas du tout. C’est à Paris que l’assassinat fut commis, le 28 juillet 1835, il y aura bientôt cent ans. Fabius Ortofieri fut arrêté le surlendemain, toujours à Paris, et mourut dans sa prison, avant le jugement, de sa mort naturelle. On prévoyait sa condamnation. Tout l’accablait et la conviction des Christiani n’a pas varié. Il était coupable.

— Permettez : je conçois aisément que les Christiani aient gardé rancune aux Ortofieri. Il est plus difficile de comprendre pourquoi les Ortofieri en veulent aux Christiani. Que les parents d’un meurtrier se prennent à détester les parents de sa victime, cela me paraît invraisemblable, à première vue.

— Vous allez saisir. D’abord il y avait, comme je vous l’ai dit, entre les deux clans, un amoncellement de disputes, de procès, de rixes, de mauvais tours ; deux siècles d’inimitié ! sans compter les âges précédents, qui ne nous ont pas légué de documents sur ce sujet. À cause de cela, sans doute, l’opinion des Ortofieri sur le crime de 1835, si elle a varié selon les individus, est toujours restée défavorable — haineusement défavorable — aux Christiani.

— Parce que ?

— Parce que certains Ortofieri, convaincus de l’innocence de Fabius, ne pardonnaient pas à mes pères de l’avoir accusé d’un forfait que, suivant eux, il n’avait pas commis. Et parce que certains autres Ortofieri, persuadés au contraire de la culpabilité de Fabius, soutenaient qu’un homme aussi juste et aussi calme n’avait pu tuer l’un de ses semblables que pour se venger d’un crime encore plus grand. Quel crime ? Mystère. Fabius, disaient-ils, n’avait pas voulu le révéler, soit par magnanimité, par élégance morale, — soit parce que, le révé-