Page:Restif de la Bretonne - Mes inscripcions, éd. Cottin, 1889.djvu/112

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Ce côté positif n’exclut pas, en lui, le rêveur qui mettait en vers, Je matin, les songes de la nuit[1], qui parcourait les lieux où il avait aimé et s’y laissait envahir par la mélancolie, qui travestissait une femme aperçue à son balcon en marquise de M…, et la marquise en madame Parangon : « Tout à coup, une idée me vint : c’est Colette Parangon ressuscitée ! Oui, oui, c’est elle. Même beauté, même vertu sublime ! Hé ! peut-on avoir, deux fois dans la vie, du pouvoir sur le cœur et sur l’esprit de deux femmes différentes[2] ? » C’est bien le même être sensible qui se plaisait à revoir sur les quais, à plusieurs années de distance, des inscriptions qui le ramenaient à la situation d’esprit où il se trouvait en les traçant.

De l’impressionnabilité à la timidité, il n’y a qu’un pas. Restif fut longtemps « le plus sauvage des hommes », et la raison qu’il en donne est bien de lui : « Je redoute l’éclat autre que celui de la vertu[3]. » Avant que ses succès d’auteur lui eussent communiqué un peu de hardiesse, il n’osait entrer dans une assemblée nombreuse ; il n’eut l’audace de pénétrer dans un café qu’en 1772 et se surprit, plusieurs fois, à faire demi-tour, à la porte d’une maison où il était invité. Fréquenter le monde lui paraissait si héroïque, que « l’ambition lui vint de l’entreprendre et qu’il doit à sa timidité même d’être devenu indagateur[4] ». Elle

  1. Monsieur Nicolas, t. IV, p. 71.
  2. Nuits de Paris. V. aussi le § 896 à la note, p. 262.
  3. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 9.
  4. Nuits de Paris, p. 1901.