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REVUE ANGLO-AMÉRICAINE

L’Angleterre doit sa fortune unique, en une Europe instable, à son refus d’être cohérente, fût-ce dans le principe même de la fixité de sa forme.

L’imprévu surgit du dehors : la révolution de Juillet en France. Cette impulsion précipite un mouvement déjà tout prêt ; l’étape du Reform Bill est atteinte ; à la dernière extrémité, la Chambre des Lords cède au vœu des Communes. Réalisé, l’élargissement du droit électoral entraîne des redressements successifs du droit pénal, de l’organisation judiciaire, et, par degrés, de tout l’ordre administratif. Mais la pression des radicaux épuise graduellement ses effets ; menacée, l’Église établie se défend avec succès ; un ministre sceptique, Melbourne, émousse le tranchant du libéralisme de gouvernement ; il protège la minorité de la reine Victoria. Au moment où se clôt le troisième volume, la royauté anglaise, purifiée, fortifiée en la personne de la jeune souveraine, va se mesurer avec les problèmes plus pressants d’une crise économique et sociale depuis longtemps refoulée, mais trop profonde pour se liquider sans une dernière période de troubles : l’agitation contre la « nouvelle loi des pauvres » ; l’agitation libre-échangiste ; le mouvement Chartiste…

La monarchie, la tradition, la continuité d’un organisme qui dure en s’adaptant, triompheront de tous les désordres issus des circonstances fatales, des erreurs des hommes. La Révolution européenne de 1848 épargnera l’Angleterre ; et par une série illimitée de chocs minimes, dont la plupart marquent un léger progrès, elle fera l’économie d’un choc destructeur, Parmi toutes les causes qui préparent ce résultat, désormais certain, M. Halévy, fidèle à une idée qu’il a souvent déjà mise en lumière, place au premier plan la ferveur religieuse des sectes dissidentes, et surtout du Méthodisme, dérivatif spirituel au désir de changement politique, école d’idéalisme civique, d’action positive et légale.

Grand sujet donc, traité avec la conscience, le savoir, le sens sociologique, également indispensables à une étude de ce genre, et qui, mutuellement, se complètent et se font valoir. Il faut le dire toutefois, Je plaisir du lecteur n’est pas égal à l’instruction qu’il retire. M. Halévy a pris courageusement parti ; entre l’histoire documentaire, qui se tient tout près des faits, leur laisse, autant que possible, leur physionomie, même incohérente ; et l’histoire généralisatrice, qui taille en plein cristal de l’idée un bloc solide aux lignes élégantes et pures, il a choisi la première. Il n’a rien fait pour atténuer la rigueur de son choix. Son récit est enchevêtré ; les larges avenues y manquent, l’air y circule mal ; les conclusions partielles, les annonces, les formules, tout ce qui dégage un résultat provisoire, marque une étape, prépare l’avenir, sont à pou près absentes de son œuvre. Son style, clair et simple, se prive de la vigueur, ou de la dangereuse éloquence, que lui donnerait la recherche de la condensation ou du trait. Parler