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ques ; Bonnard, peintre sensitif, épris de lignes souples et de silhouettes gracieuses ; d’Espagnat, Léon Valtat, Albert André, Charles Guérin, qui perpétuent avec une vision personnelle les traditions d’un art d’élégance et d’harmonie.

Et combien d’autres on pourrait y ajouter : Vallotton, dont les gravures sur bois ont un caractère définitif, impeccable ; de Lapparent, Laprade, Delcourt, Marcquet, Durenne, encore à peine connus mais dont les œuvres jalonneront l’avenue que parcourt l’art en marche. En rebroussant chemin, on trouverait encoree parmi les noms significatifs : Vignon, Schuffenecker, Anquetin, Gaussou, Lacombe, Guilloux, Maufra, Moret, Lebasque, Loiseau, Wilder…

Dans le choix des peintres appelés à donner au prochain Salon sa signification éducatrice, on s’est borné à ceux qui, depuis Manet et le groupe initial de 1874, ont marqué d’une empreinte particulièrement vigoureuse le chemin parcouru. Le mouvement a ou sa répercussion en Belgique, en Hollande, en Allemagne ; mais il a fallu, en ce premier groupement rétrospectif, se limiter au territoire français. Les aînés seront autant que possible représentés par des œuvres produites aux diverses époques de leur carrière ; les jeunes, par leurs travaux récents.

Malgré les omissions inévitables, cet ensemble proclamera, nous l’espérons, la noble ambition d’hommes qui, négligeant le côté anecdotique de la nature, source de succès faciles, s’attaquèrent résolument à une tâche réputée avant eux irréalisable. On leur rendra cette justice qu’en éclairant les yeux et les palettes ils ont provoqué des émotions inconnues et ouvert de nouveaux horizons à la beauté[1].


Les Eaux-fortes d’Albert Baertsoen.

Dix eaux-fortes de Baertsoen, les plus récentes, tirées à petit nombre sur hollande et signées de l’artiste viennent de paraître[2]. Elles composent une magnifique série : 1° Moulin sur le rempart (Bruges) ; 2° Kromboomsloot I ; 3° Kromboomsloot II (Amsterdam) ; 4° Terneuzen (soir tombé) ; 5° Maisons de pauvres ; 6° Veere (soir) ; 7° Vieilles Maisons zélandaises (Middelbourg) ; 8° Le Petit Quai (Middelbourg) ; 9° Vieilles Maisons au bord de l’eau ; 10° L’Impasse.

On sait quelle incomparable largeur de style l’artiste a obtenue dans ces compositions par ses constantes recherches et sa volonté d’exprimer pleinement sa vision inédite des abris de détresse. On vit les premières eaux-fortes de Baertsoen il y a dix ans. Que d’études réfléchies, que de labeur et quel gigantesque élan vers la perfection dramatique depuis cette date ! Baertsoen ne connaissait alors que le procédé spontané ; sa technique aujourd’hui a toutes les ressources. De nombreux dessins, très détaillés, très poussés, préparent la composition pour laquelle l’aquafortiste ne garde que les traits caractéristiques et, si je puis dire, les masses et les lignes morales. L’exécution ensuite est lente, raffinée. Les morsures de l’acide font l’office du plus subtil, du plus intelligent, du plus révélateur des pinceaux. Comme dans ses tableaux, Baertsoen nous fait admirer de saisissantes synthèses, des visions où la vérité prend sa forme essentielle. Un réverbère au support tordu, des fenêtres écrasées dans leur cadre bancal, de noirs logis de pêcheurs tassés en silhouettes rigides près du port qu’envahit la nuit, un moulin dominant en vieux lutteur le nuage qui met une auréole violente autour de ses bras en croix, des pignons voisinant en groupe confidentiel à l’extrémité d’un canal endormi, — tels sont les acteurs que Baertsoen fait vivre dans ses eaux-fortes en les enveloppant d’une atmosphère de clartés graves, d’ombres sans limite… La palpitation de la matière anime ces œuvres. Les pierres vivent et s’émeuvent, et ce qui dans l’antiquité était le plus beau des mythes devient ici la plus poétique des réalités.


La Décoration du nouvel hôtel de ville de Saint-Gilles.

L’administration communale de Saint-Gilles a eu la bonne idée de convier le public à visiter les modèles et les esquisses des œuvres d’art destinées à la décoration extérieure et intérieure du nouvel hôtel de ville. L’exposition de ces modèles et esquisses a eu lieu dimanche passé, dans un local d’école où l’on avait tenté de les présenter sous le jour le plus favorable possible, du moins en ce qui concerne la statuaire extérieure ; car pour ce qui regarde la décoration intérieure, il n’y avait vraiment pas moyen de l’apprécier. Les esquisses des plafonds de MM. Cluysenaar, de Lalaing et O. Dierickx étaient quasi invisibles dans le demi-jour d’une toute petite salle regorgeant de monde.

Il était intéressant de se rendre compte de la façon dont les artistes avaient interprété les extraordinaires sujets de sculpture qu’on leur avait commandés : Gaz, eau, tramway, électricité, etc.

Ce qui devait arriver s’est produit : ceux qui ont voulu représenter ces « choses administratives » par leurs attributs traditionnels sont tombés dans la banalité, pour ne pas dire dans le grotesque. Sécurité publique est un bel exemple de cela : une grosse femme, classiquement drapée, ayant à ses côtés le chien noir qu’on rencontre le soir, accompagné d’un agent de police, au coin de la rue de la Victoire et de la chaussée de Charleroi…

Mais ceux qui, bravement, ont rompu avec l’allégorie, et n’ont vu que les « à-côtés », ont mieux réussi. Salubrité publique, par M. Braecke, est une chose charmante, peu architecturale peut-être, mais qui dégage une sensation intense de santé, de joie, de bonheur. À première vue, le Gaz, de M. Schirren, apparaissait comme une élucubration incohérente. Mais, nous faisait remar-

  1. Ceux qui voudront étudier de plus près l’évolution qui vient d’être résumée dans ses grandes lignes consulteront utilement, outre les travaux cités, les ouvrages suivants : Théodore Duret, Critique d’avant garde, Paris, Charpentier, 1885. — Georges Lecomte. L’Art impressionniste d’après la collection privée de M. Durand-Ruel, Paris, Chamerot et Renouard, 1892. — Ch.-A. Aurier. Œuvre posthume. L’Impressionnisme. Paris, Ed. du Mercure de France, 1893. — Frantz Jourdain. Les Décorés. Ceux qui ne le sont pas, Paris, Simonis-Empis, 1895.). — Paul Signac. D’Eugène Delacroix au Néo-impressionnisme. Paris, Ed. de la Revue blanche, 1899.
  2. Chez l’éditeur-imprimeur J.-B. Van Campenhout, 163, chaussée de Wavre, où la série complète est en vente au prix de 325 francs.