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C’est l’air, le seul, hélas, que M. Frölich nous ait fait entendre de cette belle œuvre. « Schlummert ein ihr matten Augen » d’une expression émue et profonde ; M. Frölich en fit ressortir admirablement la noblesse mélancolique et la ligne pure, grâce à cette voix chaude et surtout à ce style, d’une irréprochable ampleur, qui placent l’excellent baryton parmi les premiers solistes de concert de l’époque. « Le Soldat » n’est peut-être pas une des meilleures compositions de Schumann ; par contre Fauré a su mettre, dans son exquise paraphrase de l’ « Automne » toute l’élégance triste et les ors atténués des feuilles qui tombent et des arbres qui se dénudent. M. Frölich a chanté ces deux lieder et une assez médiocre « Sérénade » de Tchaikowski, avec toute la compréhension et la sincérité d’un grand artiste. Quant aux nombreux profanes, qui s’imaginent encore que le rôle d’accompagnateur est une tranquille sinécure, dévolue aux ratés du virtuosisme, je leur conseille d’aller entendre Mlle Rabut : ils jugeront quelle conscience et quel talent il faut déployer, pour s’assimiler à ce point la pensée des maîtres et collaborer avec une telle autorité à l’impression générale, dégagée par une audition, d’un si remarquable niveau artistique.

Henry Fellot.

Concert Malats

Vendredi soir 12 février a eu lieu le troisième concert de la Société lyonnaise de musique classique. M. Malats a donné un récital de piano.

Il s’est montré virtuose extraordinaire et, ce qui est bien mieux, artiste dans la vraie et large acception du mot. Il fait de son mécanisme qui est prodigieux, le docile serviteur des intentions des maîtres. Son unique idéal est de faire comprendre et sentir les beautés des œuvres qu’il interprète.

Dès les premières mesures de l’allegro assai de la sonate appassionnatta (op. 57) — composée presque aussitôt après la Symphonie héroïque (op. 55) — M. Malats s’est imposé par la netteté, la vigoureuse précision de son jeu. Il n’a pas tarder à prouver, qu’à ces qualités essentielles, il sait joindre de la chaleur et de la passion.

Le thème de l’andanto con moto a été rendu avec une telle douceur, chaque note était si bien tenue et si parfaitement liée avec sa voisine que l’on éprouvait presque l’illusion d’un orgue.

Dans les variations la partie chantante a toujours été lumineusement mise en dehors. En même temps les enjolivements tantôt plus, tantôt moins rapides étaient clairement perçus dans leurs moindres détails.

Le final allegro ma non troppo a été enlevé avec une maestria incomparable, une ardeur communicative, une vivacité surprenante. Jamais ce final n’a été rendu à Lyon d’une façon aussi remarquable.

Les Études Symphoniques (op. 13) sont en réalité 12 variations écrites en 1837 par Schumann sur un thème en ut mineur composé par un amateur. Elles sont aussi belles que difficiles. On ne s’est rendu compte que de la beauté spéciale à chaque variation, admirablement mise en lumière. Dans la douzième variation en ré bémol en forme de marche, M. Malats a dépensé un entrain et un brio stupéfiants.

Une personnalité musicale très éclairée de notre ville était, à la sortie du concert, d’avis que M. Malats joue le Chopin avec une mesure trop rigoureuse. Ne faut-il pas plutôt voir dans cette absence de relâchement du rythme, une louable réaction contre certaines interprétations par trop capricieuses ? Il faut de la fantaisie dans le Chopin mais sans exagération. Ce qu’il y a de certain c’est que M. Malats a bien romantiquement rendu la grâce languissante, le charme douloureux, la morbidezza des trois pièces de Chopin. Comme il sait faire chanter son piano !

La Campanella de Liszt est une fantaisie de bravoure sur la Clochettes de Paganini. Il semble que l’imitation de la clochette soit mieux réalisée par le piano que par le violon. Sous les doigts habiles de M. Malats, certaine note tintant dans l’aigu, imitait la clochette à s’y méprendre.

Le succès de M. Malats a été considérable. Cet éminent artiste a bien voulu ajouter au programme deux pièces de Domenico Scarlatti qu’il a ingénieusement soudées ensemble.

L’accueil enthousiaste du public lyonnais