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Et, si je fais aujourd’hui cette remarque, ce n’est pas que cette variété de manière successives soit choquante, car la prestigieuse habileté du compositeur sauve tout, mais parce que j’ai eu mardi, plus que jamais et d’une façon aiguë, la sensation de l’excès d’acquis, de la trop grande intellectualité d’une telle musique, dans laquelle la cérébralité du compositeur tend trop à remplacer l’émotion nécessaire de l’artiste. Cette disproportion, peu sensible au premier acte, d’une si belle tenue, et au dernier, qui est un pur chef-d’œuvre, éclate au deuxième acte ; et je parle ici, non de la scène entre le Grand-Prêtre et Dalila, coulée dans le moule de l’opéra traditionnel, mais du duo d’amour lui-même, duo d’une facture irréprochable, mais froid, sans émotion, sans amour. On peut, il est vrai, pour la défense du compositeur, remarquer que Dalila n’aime pas Samson et que le sentiment feint d’une prostituée ne saurait se traduire en des chants vraiment passionnés. Sans doute, mais Samson, lui, aime réellement Dalila ; il l’aime de toutes les forces de son être, d’un amour emporté, violemment sensuel qui lui fait tout oublier, son devoir et sa mission divine, pour l’étreinte dissolvante de la courtisane, et ce délire amoureux, cette folie d’un désir qui s’exaspère devrait s’exprimer en des musiques bien différentes des froides mélodies et des déclamations conventionnelles que le héros oppose aux sollicitations pressantes de Dalila.

Quoiqu’il soit de la valeur expressive de Samson et Dalila, la valeur musicale de la partition est inestimable et en fait un des chefs-d’œuvre de l’école française, chef-d’œuvre d’autant plus fêté que tous les publics le goûtent et l’applaudissent. Les partisans du vieux répertoire qui y cherchent le bel canto cher à leur mélomanie, comme les amateurs de musique modernes, qui y trouvent la juste déclamation lyrique, la science des développements et la richesse de l’orchestration.

Mardi, Samson a remporté son succès habituel : la représentation en fut des plus intéressantes avec Verdier qui a trouvé là un de ses meilleurs rôles, Dangès, toujours excellent comme chanteur et comme comédien, Roosen, le meilleur Abimelech que nous ayons encore entendu, enfin, avec Mme Hendrickx, très belle en Dalila, encore que, mal remise d’une maladie grave, elle n’eût pas toute l’ampleur vocale et toute la puissance d’expression nécessitées par son rôle. Les personnages secondaire étaient assez mal représentés par M. Manent (le vieillard hébreu) qui a retouché la partition pour éviter de descendre jusqu’à certain mi grave dont la profondeur lui donnait sans doute le vertige, et par les troisièmes ténor et baryton qui ne manquent jamais de mettre une note joyeuse dans la navrante histoire de cet amour biblique.

L’orchestre, avec M. Flon, fut excellent ; les chœurs, convenables et la mise en scène, absurde.

Une de nos lectrices nous reprochant vivement de ne jamais parler des ballets, dont nos confrères des quotidiens chantent abondamment les louanges, disons, pour n’avoir pas à revenir sur ce sujet, que M. Soyer de Tondeur est un maître à danser incomparable, que Mmes Cerny, Canetta, Saint-Cygne et autres sont également et diversement charmantes et que leurs évolutions et leurs pas sont toujours réglés de la façon la plus sûre et la plus harmonieuse.

Léon Vallas.

À propos de « Tannhæuser »

Je m’étais permis, dans mon compte rendu de Tannhæuser paru il y a huit jours, de faire, car ma religion wagnérienne ne va pas jusqu’au fétichisme, quelques réserves sur cette œuvre dont l’intérêt musical ne me semble pas toujours soutenu.

Un de nos meilleurs collaborateurs, bayreuthien irréductible, qui se dissimule sous le transparent pseudonyme de « l’Ermite wagnérien », m’envoie à ce sujet une intéressante lettre que je reproduis ci-dessous, bien que j’y sois assez malmené et vertement relevé pour les restrictions que j’apporte à mon admiration pour Richard Wagner.

L. V.

Ô cher Directeur de la Revue musicale de Lyon, vous qualifiez Tannhæuser d’œuvre hybride et l’apparition du pâtre au 2e tableau du 1er acte, d’inutilement épisodique. Pourquoi ? permettez à un vieil ermite wagnérien de s’en étonner !

Vous savez pourtant mieux que nous, vous les jeunes qui avez appris, dites-vous, le sol-