Page:Revue de Paris, 24e année, Tome 1, Jan-Fev 1917.djvu/419

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Savarre eut un vague haussement d’épaules et rejoignit son compagnon. Le château de Givreuse se profila sur les nuages tandis que Valentine, Pierre et Philippe continuaient leur route, le neurologue s’arrêtait avec son compagnon devant la mer retentissante.

L’homme de haute stature — Charles Courtaude — dit :

— Je suis content de les avoir vus. Ils semblent robustes…

— Ils le sont. Tout annonce qu’ils sont reconstruits pour une longue vie.

— Je redoutais le contraire… Comment ont-ils résisté à la métamorphose ? Elle est en somme foudroyante : or, dans les organismes terrestres tout est progressif, sauf la mort.

— Et encore !… Lorsque la fin n’est pas subite, les agonies ont une évolution graduée. Le docteur Barbillion a décrit, avec un remarquable talent, la suite des morts qui précède la mort réelle. Nous perdons d’abord l’intelligence, la mémoire, la volonté… tout ce qui constitue la conscience.

— Est-ce sûr ? — interrompit vivement Gourlande. — Ce serait très consolant…

— Je n’ai aucun doute ; au moment où l’agonie commence, nous ne savons plus ce qui se passe

— Cependant le moribond respire… il s’agite, son cœur bat.

— Il l’ignore ! La moëlle continue à régir le mouvement. Elle trépasse à son tour : on peut alors nous brûler la peau sans que les muscles réagissent. Cependant, nous respirons toujours, mais notre respiration est maladroite, en quelque sorte renversée : elle ne s’éteint qu’après ce bruit qui a effaré les hommes de tout temps, ce bruit « doux et prolongé », qu’est le dernier souffle.

— Beaucoup d’hommes, même supérieurs, croient que la conscience ne s’éteint véritablement qu’avec ce souffle.

— À ce moment, qui n’est pas du tout le moment suprême, comme le croient aussi tant d’hommes intelligents, à ce moment, il n’y a plus la moindre trace de conscience… Pourtant le cœur bat encore du battement qu’il avait à l’aube de la vie, dans le fœtus. Quand le cœur se tait, la mort générale est consommée, mais la série des morts locales va durer longtemps encore !