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LE FEU

chère malade, lui abandonnant tout son cœur qui battait, battait, encore effrayé.

— Oui, oui, — répétait-elle d’une voix qui n’était qu’un souffle, à chaque mouvement qu’il faisait, comme pour prolonger la douceur de ces soins.

— Tu as froid ?

— Oui.

— Veux-tu que je te couvre ?

— Oui.

Il chercha une couverture, trouva sur une table un velours ancien. Il l’en recouvrit. Elle lui sourit faiblement.

— Es-tu bien comme cela ?

Elle fit signe que oui, avec ses paupières qui se fermaient. Alors, il ramassa les violettes, qui étaient alanguies et tièdes. Il posa le bouquet sur le coussin où elle avait la tête posée.

— Comme cela ?

Elle fit avec les cils un mouvement plus léger encore. Il lui baisa le front, dans le parfum ; puis il s’éloigna pour attiser le feu, ajouta beaucoup de bûches, fit jaillir une grande flambée.

— Sens-tu la chaleur ? Te réchauffes-tu ? — demanda-t-il à voix basse.

Il se rapprocha d’elle, se pencha sur la pauvre âme. Il retint son souffle. Elle s’était assoupie. Les contractures de son visage se relâchaient ; les lignes de sa bouche se recomposaient dans le rythme égal du sommeil ; un calme pareil à celui de la mort se répandait sur sa pâleur. « Dors ! dors ! » Il était si plein de pitié et d’amour qu’il aurait voulu transfuser dans ce sommeil une infinie vertu de consolation et d’oubliance. « Dors ! dors ! »

Il resta là, sur le tapis, à la veiller. Pendant quelques minutes, il mesura cette respiration. Ces lèvres avaient dit : « Je puis une chose que l’amour ne peut pas ! » Ces lèvres avaient crié : « Veux-tu que je te mène à elle ? Veux-tu que je l’appelle près de toi ? » Il ne jugeait pas, ne décidait pas ; il laissait sa pensée se disperser. Une fois encore il sentit les forces aveugles et indomptables de la vie tourbillonner sur sa tête, sur ce sommeil, il sentit sa terrible volonté de vivre. « L’arc a pour nom bios et pour œuvre la mort. »