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LA REVUE DE PARIS

Dans son esprit repassa la splendeur de ce moment lyrique, le délire de l’ode.

— As-tu vu la mer, ta mer, aujourd’hui ? As-tu vu la tempête ?

Il secoua la tête, sans répondre.

— Elle était forte, la tempête ? Tu m’as dit, un jour, que tu avais beaucoup de marins parmi tes aïeux. As-tu pensé à ta maison bâtie sur la dune ? As-tu la nostalgie des sables ? Veux-tu retourner là-bas ? Là-bas, tu as travaillé beaucoup, d’un puissant travail. C’est une maison bénie. Lorsque tu travaillais, ta mère était avec toi. Tu l’entendais marcher doucement dans la chambre voisine… Quelquefois, n’est-ce pas, elle prêtait l’oreille ?

Il la serra sur son cœur, silencieusement. Cette voix pénétrait jusqu’au fond, semblait rafraîchir son âme enfiévrée.

— Et ta sœur, elle était aussi avec toi ? Un jour, tu m’as dit son nom. Je ne l’ai pas oublié. Elle s’appelle Sofia. Je sais qu’elle te ressemble. Je voudrais l’entendre parler une fois, ou la voir passer par un sentier… Un jour, tu m’as fait l’éloge de ses mains. Elles sont belles, n’est-ce pas ? Tu m’as dit, un jour, que, lorsqu’elle est affligée, ses mains lui font mal « comme si elles étaient les racines de son âme ». C’est cela que tu m’as dit : les racines de son âme !

Il l’écoutait, presque heureux. De quelle façon avait-elle découvert le secret de ce baume ? À quelle source cachée puisait-elle la mélodie de ces souvenirs ?

— Sofia ne saura jamais le bien qu’elle a fait à la pauvre voyageuse ! Je sais d’elle peu de chose ; mais je sais qu’elle te ressemble de visage, et j’ai pu me la représenter… En ce moment même je la vois… Dans les pays lointains, là-bas, là-bas, quand je me sentais perdue, elle m’est apparue souvent, elle est venue me tenir compagnie. Elle m’apparaissait tout à coup, sans que je l’appelasse ou que je l’attendisse… Une fois, à Mürren, où j’étais arrivée après un long et pénible voyage, pour revoir une pauvre amie qui allait mourir… Ce fut à l’aube ; les montagnes avaient cette délicate et froide couleur de béryl que l’on voit seulement sur les glaciers : une couleur de choses qui resteront à jamais lointaines et intangibles, oh ! combien, combien enviées ! Pourquoi vint-elle alors ? Nous attendîmes,