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LA REVUE DE PARIS

Viva il forte, viva il grande
Vincitor dell’Indie dome[1]!

Il semblait, vraiment, que le chœur saluât l’apparition du Dieu magnifique évoqué par le poète sur la Cité belle. Il semblait que les plis de ses pourpres frémissent dans ces notes vocales comme des flammes dans des chalumeaux de cristal. La vivante image ondoyait sur la foule qui la nourrissait de son propre rêve.

Viva il forte, viva il grande

Dans cet impétueux mouvement fugué, les basses, les contraltos, les soprani répétaient l’acclamation frénétique vers l’Immortel aux mille noms et aux mille couronnes, « né sur des lits ineffables, pareil à un jeune garçon dans sa première adolescence ». Toute l’antique ivresse dionysiaque renaissait et s’épanchait en ce chœur divin. La plénitude et la fraîcheur de la vie dans le sourire de Lyscos, de celui qui délivre des chagrins l’âme des hommes, s’y exprimaient avec un lumineux jaillissement de joie. Les torches des Bacchantes y flamboyaient et y crépitaient. Comme dans l’hymne orphique, un reflet d’incendie y venait illuminer le front juvénile orné de boucles bleuâtres. « Quand la splendeur du feu envahit toute la terre, seul il enchaîna les stridents tourbillons de la flamme. » Comme dans l’hymne homérique, y palpitait le sein stérile de la mer, y retentissait en cadence le choc mesuré des rames qui poussaient le navire bien construit vers les terres inconnues. Le Fleurissant, le Fructifère, le Remède visible pour les mortels, la Fleur sacrée, l’Ami du plaisir, Dionysos libérateur tout à coup réapparaissait aux yeux des hommes sur les ailes du chant, couronnait pour eux de félicité cette heure nocturne ainsi qu’une coupe débordante, plaçait devant eux une fois encore les biens sensibles de la vie.

Le chant croissait en force ; dans l’essor, les voix se fondaient. L’hymne célébrait le dompteur des tigres, des panthères, des lions et des lynx. On entendait les cris des Ménades, la tête renversée en arrière, les cheveux épais, les robes dénouées, heurtant les cymbales, agitant les crotales : — évohé !

  1. « Vive le fort, vive le grand — vainqueur des Indes subjuguées ! »