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LA REVUE DE PARIS

La Constitution fédérale de 1787, on le sait aujourd’hui[1], fut beaucoup moins une construction inspirée par des idées théoriques, qu’une imitation de la constitution des principaux États entrés dans l’Union. Le Congrès est une législature fédérale, le Président un gouverneur fédéral. Et comme il a fallu une autorité pour décider entre les différents États de l’Union, on a créé, sous le nom de Cour suprême, un tribunal fédéral.

Mais l’influence de la théorie n’est pas contestable. Elle apparaît dans la forme de la Constitution ; les autorités fédérales sont énumérées suivant le schéma de Montesquieu dans l’ordre même où il les a placées ; à chacune est consacré un article spécial, article premier, les pouvoirs législatifs ; article 2, le pouvoir exécutif ; article 3, le pouvoir judiciaire. La théorie paraît aussi avoir agi sur les relations réciproques des pouvoirs : on a cherché systématiquement à les parquer chacun dans sa fonction et à éviter entre eux les contacts. Le Président ne peut ni dissoudre, ni ajourner, ni convoquer le Congrès. Ses ministres ne peuvent ni siéger au Congrès, ni lui proposer une loi ou un amendement, ni même préparer le budget. En revanche le Congrès ne peut pas interpeller les ministres, il n’a aucune prise sur eux. Enfin la Cour suprême n’est pas subordonnée aux autres pouvoirs et peut rendre des arrêts contraires aux lois votées par le Congrès.

Cependant les Américains, fidèles à la tradition anglaise, ont corrigé la rigueur de la théorie par quelques expédients qui établissent un contact entre les pouvoirs. Ils ont donné au Président le droit de prendre l’initiative par un message, et celui de demander une nouvelle délibération à la majorité des deux tiers ; ce droit, dans la pratique, équivaut à un veto, et c’est encore le nom qu’on lui donne dans l’usage. Ils ont donné au Sénat le droit de confirmer ou de rejeter les nominations des hauts fonctionnaires, au Congrès le droit de déclarer la guerre.

Les Français suivirent de près les Américains. La séparation des pouvoirs figurait sur un grand nombre des cahiers des États généraux. Le 27 juillet 1789, le rapporteur du

  1. Voir sur ce point Fiske, The critical period of the american history (1888) et Bryce, The american Commonwealth, 3e édit. 1893.