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un autre monde

— Le monde du quatrième état… les âmes, les fantômes des spirites ?

— Non, non, rien de semblable. Un monde de vivants condamnés comme nous à une vie brève, à des besoins organiques, à la naissance, à la croissance, à la lutte… un monde faible et éphémère autant que le nôtre, un monde soumis à des lois aussi fixes, sinon identiques, un monde aussi prisonnier de la terre, aussi désarmé devant les contingences… mais d’ailleurs complètement différent du nôtre, sans influence sur nous, comme nous sommes sans influence sur lui, — sauf par les modifications qu’il apporte à notre fonds commun, la terre, ou par les modifications parallèles que nous faisons subir à cette même terre.

J’ignore si Van den Heuvel me crut, mais à coup sûr il était sous le coup d’une vive émotion :

— Ils sont fluides, en somme ? demanda-t-il.

— C’est ce que je ne saurais dire, car leurs propriétés sont trop contradictoires, pour l’idée que nous nous faisons de la matière. La terre leur est aussi résistante qu’à nous, et de même la plupart des minéraux, quoiqu’ils puissent entrer un peu dans un humus. Ils sont encore totalement imperméables, solides, par rapport l’un à l’autre. Mais ils traversent, quoique parfois avec une certaine difficulté, les plantes, les animaux, les tissus organiques ; et nous, nous les traversons de même. Si l’un d’entre eux pouvait nous apercevoir, nous lui apparaîtrions peut-être fluides par rapport à eux, comme ils me paraissent fluides par rapport à nous ; mais il ne pourrait vraisemblablement pas plus conclure que je ne le puis, il serait frappé de contradictions parallèles… Leur forme a ceci d’étrange qu’ils n’ont presque point d’épaisseur. Leur taille varie à l’infini. J’en ai connu qui atteignent cent mètres de longueur, d’autres menus comme nos plus petits insectes. La nutrition se fait, chez les uns, aux dépens de la terre et des météores ; chez les autres, aux dépens des météores et d’individus de leur règne, sans que, toutefois, elle soit une cause de meurtre comme chez nous, puisqu’il suffit au plus fort de prendre de la force et que cette force peut être soutirée sans exténuer les sources de la vie…