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LA REVUE DE PARIS

Il promène sur nous l’effarement de ses yeux trop ouverts. Dans toute sa personne, un charme de diablotin ou de farfadet.

— Et les statues ? demandons-nous au vieux Robinson danois.

Ah ! les statues, il y en a de deux sortes. D’abord, celles des environs de cette baie, qui toutes sont renversées et brisées. Et puis les autres, les effrayantes, d’une époque et d’un visage différents, qui se tiennent encore debout, là-bas, là-bas, sur l’autre versant de l’île, au fond d’une solitude où personne ne va plus.

Il s’apprivoise, le sauvage à la huppe rouge. Pour nous plaire, le voici qui chante et qui danse. Il est un de ceux que les missionnaires avaient baptisés jadis et il s’appelle Petero (Pierre). Le vent, qui augmente au crépuscule, emporte sa chanson mélancolique et tourmente sa chevelure.

Mais les autres sont craintifs et ne veulent pas monter. Leurs pirogues cependant nous entourent, secouées de plus en plus par les lames, inondées d’embruns et d’écume. Montrant leurs membres nus, ils demandent par signes des vêtements aux matelots, en échange de leurs pagaies qu’ils offrent, et de leurs lances et de leurs idoles de bois ou de pierre. Toute la peuplade est accourue vers nous, naïvement surexcitée par notre présence. Dans la baie, la mer devient mauvaise. Et la nuit tombe.

II


4 janvier.

Cinq heures du matin, et le jour commence de poindre sous d’épaisses nuées grises. Vers la rive encore obscure, une baleinière qu’on m’a confiée m’emporte avec deux autres aspirants, mes camarades, pressés comme moi de mettre le pied dans l’île étrange. L’amiral, amusé de notre hâte, nous a donné à chacun des commissions diverses : reconnaître la passe et l’endroit propice au débarquement, chercher les grandes statues — et, pour son déjeuner, lui tuer des lapins !