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LA REVUE DE PARIS

ne gardait toutefois ce léger reflet de cuivre rouge, qui est le sceau de la race. De longs tatouages bleus, d’une bizarrerie et d’un dessin exquis, courent sur leurs jambes et leurs flancs, sans doute pour en accentuer la sveltesse charmante. Marie, qui fut un enfant baptisé par les missionnaires, — ce nom de Marie, à une fille de l’île de Pâques, déroute beaucoup, — n’a pour elle que sa taille de jeune déesse, sa fraîcheur et ses dents. Mais Juaritaï serait jolie partout et dans tous les pays, avec son petit nez fin et ses grands yeux craintifs ; elle a noué à l’antique sa chevelure, artificiellement rougie, dans laquelle des brins d’herbe sont piqués…

Mon Dieu, comme le temps passe !… Déjà dix heures et demie, l’heure à laquelle nous devons rentrer à bord pour le déjeuner, et j’aperçois là-bas, franchissant les lignes de récifs, la baleinière qui arrive pour nous reprendre. Mes deux camarades aussi reviennent de la chasse, suivis comme moi d’un cortège qui chante. Ils ont tué plusieurs mouettes blanches, qu’ils distribuent aux femmes ; mais de lapins, aucun. Quels mauvais commissionnaires nous sommes, tous les trois !… Et les grandes statues que j’étais chargé d’aller reconnaître, moi qui les ai oubliées !…

***

À bord, on nous reçoit bien, quand même, et les officiers s’intéressent à toutes les choses que je rapporte.

Mais je ne tiens pas en place et, dès midi, je retourne à terre auprès de mes amis sauvages.

Il vente toujours, et le vent d’ailleurs doit être familier à cette île de Pâques, située dans la région où l’alizé austral souffle le plus fort. Pourtant il ne reste plus au ciel que des lambeaux tourmentés du sombre vélum de ce matin, et le soleil paraît, dans du bleu profond, un brûlant soleil, car nous sommes ici tout près du tropique.

Quand j’arrive à la grève, je m’aperçois que, dans l’île, c’est l’heure de dormir, l’heure de la sieste méridienne, et mes cinq amis, qui sont là par politesse à m’attendre, assis sur des pierres, ont des yeux très somnolents.

Je dormirais bien quelques minutes, moi aussi ; mais où