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LA REVUE DE PARIS

statues avaient exprimée avec leurs lèvres de pierre. Plus fort que tous les signes, ce seul chant de liberté et de victoire touchait le cœur de celui qui devait créer avec joie, « En avant ! en avant ! Plus haut, toujours plus haut ! »

Et le cœur de Perdita, pur de toute lâcheté, prêt à toutes les épreuves, imitant l’ascension de l’hymne, se repromit à la Vie. Comme à l’heure lointaine du délire nocturne elle répétait : « Servir ! servir ! »

L’esquif entrait dans un eanal renfermé entre deux berges vertes qui arrivaient si exactement au niveau de l’œil que l’on y apercevait les tiges innombrables de l’herbe et que l’on y distinguait les nouvelles à leur couleur plus tendre.

Laudato si, mi Signore, per sora nostra matre terra,
la quale ne sustenta et governa
et produce diversi fructi con coloriti fiori et herba[1].

À la plénitude de son âme, l’amante mesurait l’amour du Poverello pour les créatures. Telle était son abondance qu’elle cherchait partout des choses vivantes à adorer ; et ses yeux redevenaient enfantins, et toutes ces choses s’y miraient comme dans la paix de l’eau, et quelques-unes semblaient remonter de son plus lointain passé pour se faire reconnaître et se présentaient à elle sous un aspect d’apparitions inattendues.

Quand l’esquif aborda, elle s’étonna d’être arrivée.

— Veux-tu descendre ? Ou bien, préfères-tu retourner en arrière ? — lui demanda Stelio, secouant sa rêverie.

D’abord elle hésita, parce que sa main était dans la main de l’aimé, et que se détacher de lui la fâchait comme une diminution de douceur.

— Oui, — répondit-elle avec un sourire. — Marchons un peu aussi sur cette herbe.

Ils débarquèrent dans l’île de Saint-François. Quelques

  1. « Loué sois-tu, mon Seigneur, par-dessus notre mère la terre, — qui nous soutient, nous nourrit — et produit les fruits variés avec les fleurs colorées et l’herbe. »