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la route de l’exil

dernière fois et nous partons ensuite. À Trinquette, nous rejoignons la route de Saint-Pol à Arras, nous déjeunons à la poste, et nous nous séparons, après nous être fait nos adieux le cœur navré. MM. de Pellan[1], de Lajarte, de Lagarde, d’Ombideau et de là Salette me suivent et nous allons par la traverse coucher à Bagnières au delà de Fresneut ; nous y sommes bien mal empilés tous les six dans une pauvre chambre et un mauvais cabinet. Pourtant nous remercions avec effusion le brave curé qui, au risque de se compromettre, a voulu nous recevoir dans son modeste presbytère et nous a accueillis de son mieux.


29 mars. — Nous partons à neuf heures en passant par Saint-Riquet, et nous arrivons à Aly et de là à Long, où nous sommes à trois heures de l’après-midi ; nous allons au château de M. de Gaubert, qui nous donne des renseignements sur notre route. Nous rencontrons à chaque instant des troupes passées à Bonaparte qui se rendent à la frontière ; nous nous rangeons sur les côtés de la route pour les laisser passer ; la plupart semblent animés envers nous de sentiments peu bienveillants, les officiers cependant sont convenables, et l’un d’eux réprimande vertement quelques soldats qui semblent nous tourner en dérision. M. de Pellan nous quitte pour aller plus loin avec trois de ces messieurs. Je reste seul avec M. de la Salette ; nous logeons dans une auberge où nos chevaux sont très bien, mais où l’on ne nous donne qu’un méchant grabat. M. de Gaubert nous a appris les nouvelles. Le roi est parti pour Ostende dans la journée du 23 mars, vers trois heures de l’après-midi, et le soir même toutes les troupes de là garnison de Lille ont arboré la cocarde tricolore. Le duc d’Orléans, jugeant qu’il n’y avait désormais plus rien à faire ni à tenter, et rassuré en même temps de savoir le roi en sûreté, s’est décidé à quitter Lille la même nuit et à aller en Angleterre rejoindre sa femme et ses enfants. Il a fait en somme ce qui

  1. Jean-Louis-Marie, comte de Pellan, né à Guérande le 26 juin 1753, lieutenant-adjudant-major ; le chevalier d’Ombidau de Crouseilles, sous-lieutenant ; Aubin-Louis-Joseph Joubert de la Salette, brigadier ; Étienne Petitjean de Lagarde, garde, et M. de Lajarte, également garde, servaient tous à la compagnie Gramont.