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LA REVUE DE PARIS

dans la lutte entre les peuples. Il s’expose au contraire à des erreurs s’il essaie d’expliquer, dans chaque cas, pourquoi tel parti a été vainqueur ou vaincu, ou, ce qui revient au même, comment l’on aurait pu prévoir ce qui est arrivé. Ses erreurs deviennent plus dangereuses encore, si, de ses considérations philosophiques sur les luttes passées, il tire un conseil pratique aux belligérants actuels dont il ignore encore le sort futur, oubliant que les conditions sont autres aujourd’hui qu’elles ne furent dans l’un quelconque des cas pris comme exemples dans l’histoire.

Si les espèces n’avaient pas varié, le langage de Darwin n’aurait aucune importance philosophique ; il nous raconterait simplement que, dans les temps passés, les individus qui sont morts sans laisser de postérité ont été vaincus, dans la concurrence vitale, par d’autres individus mieux armés pour la lutte dans les circonstances réalisées à ce moment précis ; les circonstances changeant sans cesse, les résultats des luttes successives n’auraient qu’un intérêt historique, et nous expliqueraient uniquement la distribution actuelle des êtres vivants à la surface de la terre, de même que l’histoire des hommes, telle que nous l’enseignent les historiens narrateurs, nous apprend uniquement comment s’est réalisée la répartition actuelle des peuples.

Ainsi, la narration darwinienne de l’histoire des êtres conduit immédiatement à la distribution actuelle des animaux et des plantes ou, comme l’on dit aujourd’hui, à la géographie zoologique et botanique, même pour qui n’admet point que les êtres aient varié. Il semble donc que cette partie au moins de l’œuvre de Darwin dût être acceptée, sans hésitation, par les non-transformistes aussi bien que par les transformistes, puisque personne ne peut nier que le passé ait produit le présent. Or, si, après avoir établi une simple géographie descriptive des êtres vivants, on veut interpréter l’histoire qui a conduit à cette distribution géographique, on est invinciblement amené à penser que les espèces ont varié ; on y est amené d’une façon si impérieuse que, à moins d’être