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LA REVUE DE PARIS

fallait s’abstenir de lui faire suivre la classe de latin. Comme ce n’était cependant que de cette manière qu’on apprenait alors le français, il lui est resté toute sa vie quelque chose d’étrange dans l’élocution et il n’a jamais su parfaitement l’orthographe.

Bonaparte manquait de cette mémoire qu’ont les enfants pour apprendre les leçons qu’on leur donne et qui, disposées par demandes et réponses, doivent être récitées littéralement ; mais il retenait bien le sens de tout ce qu’il lisait et il s’était habitué, encore enfant, à en faire des extraits, quoiqu’il lût beaucoup, et particulièrement des livres d’histoire. Quand il partit pour l’École militaire de Paris, il emporta avec lui la valeur de cinq à six mains de papier remplies d’extraits. Son livre de prédilection était une histoire italienne de la Corse, où le fameux Paoli était exalté comme un héros patriote, où les Français étaient très maltraités et les Anglais, au contraire, loués comme des défenseurs. Aussi arriva-t-il plusieurs fois à Bonaparte, encore enfant, de s’attirer des gourmades de la part de ses camarades, pour avoir mal parlé des Français et trop bien des Anglais. L’histoire particulière des grands hommes lui était assez familière : je l’ai vu pendant quelque temps, avec Bourrienne et quelques autres, montés sur des tables, jouer des scènes extraites des histoires qu’ils avaient lues. Les mathématiques furent la science où il réussit le mieux : on ne peut nier qu’il n’eût un jugement au-dessus de son âge, mais la disparate sur ce point, entre lui et ses camarades, était bien moins grande qu’on n’a voulu le dire. Du reste, ce qui peut avoir induit en erreur ses condisciples quand ils se sont rappelé ses premières années, c’est qu’ils n’ont pas fait attention qu’étant entré à l’âge de onze ans à l’École militaire, — tandis que communément on y entrait entre neuf et dix ans, — il s’est presque toujours trouvé dans les différentes classes de deux ans plus âgé que les autres, ce qui, à cet âge, faisait une différence énorme pour tout ce qui a besoin de jugement[1].

Bonaparte enfant avait le teint très jaune ; ses camarades l’attribuaient à une raison qu’il doit leur avoir donnée lui-même.

  1. Bonaparte entra à Brienne le 15 mai 1779, et allait avoir dix ans, mais il avait deux ans de plus que de Castres, de là sans doute l’erreur.