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LA REVUE DE PARIS

l’avait accompagné et sauvé. Quand il reprit ses sens, il s’imagina vaguement qu’il était couché dans son lit et malade ; puis, avec son expérience de la montagne, il se rendit compte de sa situation. Avec des pauses pour reprendre haleine, il se dégagea de sa tutélaire prison et bientôt il aperçut les étoiles. Il demeura quelque temps à plat ventre, se demandant en quel coin de la terre il se trouvait et par quelle suite de circonstances il y était transporté. Poursuivant ses recherches, il se palpa les membres, constata que plusieurs de ses boutons étaient arrachés et que sa veste était rabattue sur son cou et sa tête. La poche dans laquelle il mettait son couteau était vide, et son chapeau avait disparu, bien qu’il eût eu la précaution de se l’attacher sous le menton. Il se rappela qu’en dernier lieu il cherchait des pierres pour surélever, dans leur abri, la partie du mur qui le protégeait. Il avait perdu son pic aussi…

Il en conclut qu’il avait dû tomber, et, levant la tête, il considéra, dans la blême lumière de la lune naissante qui l’exagérait, la distance qu’il avait parcourue. Les yeux agrandis, il contemplait l’immense et pâle falaise qui, d’instant en instant projetait davantage hors des ténèbres sa masse surplombante, dont la beauté fantastique et mystérieuse lui serra le cœur : il fut secoué d’un accès de sanglots et de rire…

Un long espace de temps s’écoula ainsi. Puis, il remarqua qu’il était arrêté à la limite des neiges. Au-dessous de lui, à l’extrémité d’une pente praticable et baignée par la clarté de la lune, il discerna des intervalles sombres qui devaient être des surfaces gazonnées. Malgré ses membres endoloris et ses jointures ankylosées, il réussit à se mettre sur pieds, se laissa péniblement glisser au bas du tas de neige où il était juché, et se mit à dévaler jusqu’à ce qu’il fût sur le gazon. Arrivé là, il s’effondra auprès d’une roche, vida à longs traits le flacon qu’il tira de la poche intérieure de son gilet, et s’endormit presque aussitôt.


Le chant des oiseaux dans les arbres l’éveilla.

Il s’installa sur son séant et chercha à se reconnaître : il se trouvait sur une petite plate-forme triangulaire, au pied d’un vaste précipice qui coupait obliquement le ravin par lequel sa