Page:Revue de Paris - 1905 - tome 1.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
90
LA REVUE DE PARIS

Buloz, qui fondait alors la Revue des Deux Mondes et manifestait l’intention de l’ouvrir à toutes les jeunes gloires littéraires de l’époque, vint tout d’abord frapper à la porte de l’auteur d’Hernani et de Notre-Dame de Paris, qui allait paraître et dont déjà l’on faisait grand bruit. Victor Hugo l’accueillit à merveille et lui promit son concours ; seulement, ce concours ne pourrait être que fort intermittent ; il y avait une collaboration plus active et plus précieuse qu’il lui conseillait de s’acquérir sur-le-champ, celle du premier critique de l’époque : Sainte-Beuve. Et il se hâta d’annoncer à Sainte-Beuve la visite de Buloz par un billet qu’il signait : « Votre éternel ami », et où il se plaignait doucement de ne l’avoir pas revu.

Sainte-Beuve, en effet, n’avait pas pris avec lui de rendez-vous, ne lui avait pas écrit, ne lui avait pas donné signe de vie. Il reçut M. Buloz, il s’entendit avec lui, et c’est par cette porte qu’il entra à la revue où il devait acquérir sa place définitive ; mais il ne remercia pas Victor Hugo. Qu’y avait-il ? Victor Hugo commençait à s’inquiéter. Un jour qu’il devait aller à l’Odéon avec sa femme, il envoya un mot à Sainte-Beuve, qui « serait mille fois aimable de venir les y rejoindre ». – Une loge de théâtre était un terrain neutre où il serait peut-être bien aise de retrouver ses amis. – Sainte-Beuve ne vint pas et ne s’excusa même pas de n’être pas venu.

Victor Hugo, tout à fait inquiet, lui écrivit :


« ce dimanche 13 [mars 1831].

» Je ne vous ai pas vu hier soir, mon ami, et vraiment, ç’a été un chagrin. J’ai tant de choses à vous dire, tant de peines que vous me faites à vous conter, tant de prières à vous faire, mon ami, du plus profond de mon cœur, pour vous, Sainte-Beuve, qui m’êtes plus cher que moi, j’ai tant besoin que vous me disiez encore que vous m’aimez pour le croire, qu’il faudra que j’aille un de ces matins vous chercher et vous prendre pour causer longuement, profondément, tendrement, de toutes ces choses avec vous ! N’avez-vous pas quelquefois l’idée que vous vous trompez, mon ami ? Oh ! je vous en supplie, ayez-la, c’est la seule prise qui me reste peut-être encore sur vous. Nous en causerons, n’est-ce pas ?… »

Victor Hugo terminait en annonçant à Sainte-Beuve l’envoi prochain de Notre-Dame de Paris et lui demandait si, après avoir lu ce roman, il voudrait en rendre compte dans le Globe.

Sainte-Beuve répondit enfin, deux ou trois jours après. Sa lettre éclaire en sa faveur un point sur lequel, avant de la connaître, on pouvait l’accuser. Oui, il a raison : Victor Hugo, sans le vouloir, il est vrai, et sans le savoir, avait manqué envers lui, à un moment