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FACHODA

peau français et il consentit à ce que la question fût déférée aux deux gouvernements. Le récit que le général Kitchener a donné de son entrevue avec Marchand honore également les deux officiers. L’estime que chacun d’eux ne pouvait s’empêcher de ressentir pour l’autre a singulièrement tempéré l’antagonisme des situations et a permis d’éviter des malheurs irréparables.

Dès le lendemain de la prise de Khartoum, nous ne devions plus nous faire d’illusions. Il était évident que le Soudan tout entier s’ouvrait aux armes anglo-égyptiennes. La mission Marchand perdait sa raison d’être, en tant que prise de possession. Nous n’avions aucun argument valable contre la restauration de l’autorité khédiviale. Quelque bien disposée que pût être – l’Angleterre et à ce moment elle ne l’était guère – nous ne pouvions raisonnablement lui demander de nous laisser une enclave sur le Nil ou même dans le Bahr-el-Ghazal. Elle aurait été en droit de nous répondre qu’il ne lui appartenait pas de disposer des domaines du Sultan et qu’en ce qui concerne particulièrement le cours du fleuve, il y avait un intérêt majeur à ne pas laisser s’interposer des tiers qui pourraient en modifier le régime, au préjudice de l’Égypte. Il en est des relations entre les peuples comme des relations entre les individus : il ne faut jamais demander l’impossible, quand on ne veut pas aboutir à une rupture. Les résultats de la mission Marchand étaient donc et devaient être dès à présent sacrifiés. Ceci montre combien étaient injustes les reproches adressés au ministre d’alors quand on le rendait responsable de l’évacuation de Fachoda et qu’on l’accusait d’« avoir tout abandonné ». M. Delcassé n’avait abandonné que ce qui ne pouvait pas être retenu, car ce n’était pas nous, mais bien le Sultan, représenté par le Khédive, qui était le maître légitime du territoire où nous aurions prétendu nous maintenir. À quelle personne de bonne foi fera-t-on dire que la France aurait voulu recourir aux armes pour une cause aussi peu défendable ? Comment, nous qui depuis 1890 ne cessions de déclarer que les arrangements de l’Angleterre avec l’Allemagne et avec l’État du Congo étaient sans valeur, parce qu’elle y disposait de domaines appartenant au Sultan, tout à coup, en 1898, nous nous