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avait quelque chose d’éblouissant dans la plénitude de l’occasion qui s’offrait à elle.

Elle demeurait silencieuse, regardant au loin le ruban automnal du sentier désert. Et soudain une frayeur s’empara d’elle, — une frayeur d’elle-même, et de la force terrible qu’avait la tentation. Toutes ses faiblesses passées agissaient comme autant de zélées complices, l’entraînant vers le chemin que leurs pieds avaient déjà aplani. Elle se retourna vivement et tendit la main à Dorset :

— Adieu… je suis désolée, mais je ne peux rien faire.

— Rien ?… Ah ! ne dites pas cela ! — cria-t-il ; — dites la vérité, dites que vous m’abandonnez comme les autres… vous, la seule créature qui aurait pu me sauver !

— Adieu… adieu ! — répéta-t-elle à la hâte.

Et, comme elle s’éloignait, elle l’entendit qui lançait une dernière supplication :

— Au moins vous me permettrez de vous revoir une fois encore ?


Lily regagna la propriété des Gormer ; elle se dirigea rapidement, à travers la pelouse, vers la maison inachevée où elle s’imaginait que son hôtesse l’attendait sans trop de résignation, méditant sur la cause de son retard : car, ainsi que beaucoup de personnes inexactes, Mrs. Gormer détestait attendre.

Cependant, comme miss Bart approchait de l’avenue, elle vit un phaéton élégant, attelé de deux chevaux qui trottaient haut, disparaître derrière les arbustes, dans la direction de la grille ; et sur le perron se tenait Mrs. Gormer, dont la figure épanouie rayonnait d’un plaisir rétrospectif. À la vue de Lily, ce rayonnement fit place à une rougeur gênée, et elle dit avec un léger rire :

— Avez-vous rencontré ma visiteuse ?… Oh ! je croyais que vous étiez rentrée par l’avenue… C’était Mrs. George Dorset… Elle était venue en voisine me dire un petit bonjour… Je cite ses propres paroles.

Lily accueillit cette nouvelle avec sa sérénité coutumière, bien que son expérience des particularités de Bertha ne l’amenât guère à y compter l’instinct de bon voisinage ; et Mrs. Gormer,