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qu’offraient d’habitude les rapins à leurs compagnes pouvait sembler par cela même plus émouvante et pittoresque.

Une certaine Éliane s’était prise d’une grande amitié pour Louise et faisait d’elle sa confidente. Fille d’honnêtes commerçants de Neuilly, elle avait quitté ses parents pour suivre un peintre dont elle était éperdue. Elle montrait à Louise, dans un petit carnet qu’elle portait sur son cœur, la photographie d’un grand diable, à la tournure militaire, à la moustache en croc :

— N’est-ce pas qu’il a l’air à la fois héroïque et spirituel ?… Car il a de l’esprit comme personne, et bon avec cela !… Le malheur, c’est que toutes les femmes le poursuivent. Je suis sûre qu’il m’aime ; mais les hommes, c’est si léger et si vaniteux !

Et la petite Éliane se lamentait.

M. Émile Poncelet, qui troublait à ce point les cœurs, était en effet léger, vaniteux, et, sans l’ombre de méchanceté, doué de tout ce qu’il fallait pour causer du tourment à ses amies. Quant à sa peinture, elle était encore moins méchante que lui. Sous son pinceau naquirent successivement des moissonneuses, des pêcheuses, des faneuses, des glaneuses, qui toutes se ressemblaient entre elles, et, pour le moment, ressemblaient vaguement à Éliane. Et ces tableautins se vendaient en Amérique, à Nice et dans les villes d’eaux fréquentées. — « Ce sont les étrangers qui à présent mènent le goût », disait gravement Éliane, qui avait entendu tenir ce propos à M. Poncelet.

Un jour, Louise, arrivant au magasin un peu plus tard que de coutume, trouva toutes ces demoiselles dans un grand émoi. Lucrèce, la jolie Lucrèce, abandonnée la veille par son amant, qui se mariait, avait tenté de s’empoisonner dans la soirée. On était parvenu à la sauver en lui faisant avaler de force un litre de lait, mais elle restait si faible et si accablée qu’on gardait encore de l’inquiétude. Laure avait été la voir. Le soir, on sut que Lucrèce allait mieux et l’on échangea des pensées pleines de sagesse sur les folies où entraîne l’amour et sur l’ingratitude des hommes.

Au moment du jour de l’an, Louise reçut, avenue de Villiers, une immense corbeille de fleurs rares ornée de nœuds. Sur une carte piquée au ruban et ne portant pas de nom se lisait : « À mademoiselle Louise, un admirateur timide. » Quelques jours après, parut une nouvelle corbeille, pareillement adressée,