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Une seconde soirée se passa. Il semblait maintenant à Louise que les feux des lanternes s’allumaient de colère, allaient embraser les allées paisibles. Sa détresse grandissait d’instant en instant. Félicité remarquait son agitation et lui en demandait la cause.

— Je crois — ajoutait-elle — que ton amie Éliane te monte la tête. C’est une bonne fille, mais elle n’a ni sens ni raison. Je t’en ai prévenue, quand j’ai vu que tu te liais avec elle…

Le lendemain, au matin, Louise pensa :

— Il faut, d’ici à ce soir, trouver un moyen.

Ce qu’elle imagina ne fut ni bien habile ni bien ingénieux. Elle feindrait un grand malaise, se coucherait au lieu de dîner, et aurait l’air de s’endormir. Puis elle sortirait de sa chambre, le plus doucement possible, et gagnerait la porte.

Félicité s’émut des plaintes de sa nièce, dit qu’en effet depuis plusieurs jours elle lui voyait un air de fatigue et la força, quand elle fut couchée, de boire une tisane calmante.

Un silence profond régnait dans l’avenue, où les deux lanternes jetaient leur appel coutumier, lorsque Félicité, qui dans sa chambre écrivait à Toussard, entendit le bruit très net de la porte de l’antichambre que l’on ouvrait avec précaution. Elle s’élança, trouvant le battant poussé, mais point refermé, et, s’avançant sur le palier, aperçut Louise qui descendait l’escalier. Elle eut le temps de saisir le chapeau d’une bonne accroché là par hasard, et suivit sa nièce, en ayant soin d’étouffer ses pas. Elle arriva sous la voûte : le coupé se montra et elle comprit tout.

Déjà Louise traversait l’avenue : Félicité obliqua à droite, puis d’un bond fut auprès de la voiture, au moment où la jeune fille allait s’y glisser. Elle l’écarta d’un geste presque brutal :

— Rentre à l’instant ! — dit-elle d’une voix basse et indignée.

Elle-même ne bougea pas. Par l’autre portière, Fernand Epstein était descendu. Il congédia son cocher.

— Madame, — dit-il, en saluant, — je sens tout ce que vous êtes en droit de penser de moi, et sous quel jour odieux je dois vous apparaître. Et devant votre colère si légitime je reste désolé et accablé de confusion. Mais du moins sachez que,