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quatrième lettre


Le vingtième jour du mois de Tamuz.

Si tu es bien tout est bien.

Je t’écris au milieu de la nuit. À peine viennent de cesser les cris féroces qui ont retenti tout le jour dans ce bois paisible où un étrange événement vient de se passer.

Hier, dès le matin, les jeunes esclaves, plus effrayés que les autres vinrent apprendre à Libanius que le peuple d’Antioche devait venir dans le jour, à Daphné, pour y rapporter le corps de Babylas[1] que, depuis plusieurs années, un ordre de Julien avait fait transporter ailleurs. Nous étions sous le vestibule avec Jean Chrysostôme et Basile.

Un des esclaves a donné à Libanius une lettre de Paul de Larisse que je copie à la hâte pour toi. Libanius nous la lut sur-le-champ. La voici ; il me l’a laissée entre les mains pour un peu de temps.

Je vais me rendre à Daphné dans la soirée. J’ai voulu t’écrire ce que je craindrais de te conter, de peur de montrer à tes yeux et à ceux de tes amis une douleur digne de trop de pitié et de dédain : Julien a vécu. En capitaine habile, il a passé Le Tigre, mis la flotte en sûreté, rallié son armée à celle de Victor, pris la place de Mao-Gamat-Kan. Nous marchions sur Ctésiphon. Des Barbares réfugiés et accueillis par Julien avec trop de bonté l’ont trahi. La flotte a été incendiée. La famine a décimé l’armée. On en était venu à distribuer les provisions des comtes et des tribuns. Julien leur donna l’exemple en partageant les siennes aux soldats. Dans la nuit du vingt-cinquième au vingt-sixième de Junius, il s’est levé comme de coutume, sous sa tente, pour écrire sur une question de théologie qui nous avait occupés toutes les nuits précédentes. Il voulait mettre les hôpitaux qu’il a fondés sous la protection de Cybèle, et l’hospice des pauvres sous celui de Cérès-Déo, et, écrivait le détail de cet édit qu’il devait envoyer à Constantinople. Il écrivait et me dictait ces mots préliminaires :

« Moi, Julien, souverain pontife, César, Auguste, serviteur du Soleil-Roi et de tous les dieux, exterminateur des Francs et des autres Barbares, libérateur de la Gaule et de l’Italie… » lorsque

  1. Babylas (saint), évêque d’Antioche vers 237, fut persécuté sous le règne de Dèce, et mourut dans les fers en 251.