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Grec qui, selon l’usage des Lacédémoniens, avait bouclé et parfumé ses cheveux pour le jour du combat. Nous avions remarqué l’adresse avec laquelle il tirait sur les ennemis. Les archers ses compagnons riaient en se battant et en mourant, avec leur ostentation accoutumée. Celui-ci à demi nu avait reçu une flèche dans la poitrine. Il s’était couché sur son bouclier et souriait dédaigneusement à l’ennemi. « Adore Mercure Trismégiste, » dit Julien en s’approchant de lui. Il se tourna de l’autre côté et, riant avec éclat, mordit le sable et mourut. Julien se pencha à l’oreille d’un des barbares auxiliaires Alamans et lui parla dans sa langue. Cet homme qui était renversé lui baisa les pieds, puis lorsque L’Empereur se fut détourné, il prit du sable et s’en servit pour tracer un signe de croix sur son front. Julien le vit, et me regarda pour deviner ce que je pensais. Je baissai la tête et il continua à donner des ordres. Je ne pus l’empêcher de s’enfoncer dans les rangs des auxiliaires, et lorsque nous observâmes ceux qui étaient frappés de mort, nous les vîmes tous se tracer sur la poitrine le X ou la croix des Galiléens. Quelques-uns criaient : « Jove ! » mais bientôt après revenaient à leur signe. Tout d’un coup, Julien monta à cheval, je le suivis. Il avait la tête nue et ne tenait à la main que son bouclier. De grands cris retentissaient à l’arrière-garde, il y courut avec moi. La cavalerie des Perses faisait une brèche dans l’aile gauche, et dix éléphants soutenaient cette attaque désespérée. Julien se jeta sur l’ennemi comme s’il eût été invulnérable. Les soldats lui criaient inutilement de se retirer. Il reçut en ce moment un javelot dans le côté. Il voulut arracher le fer, mais il se coupa les doigts et tomba de cheval. Je le reçus dans mes bras. Il se tint debout, ramena son manteau sur lui de sorte que personne ne pût voir sa blessure. Il me dit de le conduire hors de la mêlée, près du Tigre, à quelques pas ; ce que je fis. « Jette-moi dans le fleuve, me dit-il, ceux qui croient encore aux Dieux soutiendront le courage de ma pauvre armée en me disant enlevé au ciel comme Quirinus. Les chrétiens diront : comme Élie. » Je lui serrai la main, et je le pris sur les bras pour le précipiter dans le fleuve. En ce moment toute son escorte arriva. On crut que je ne voulais que le soutenir et on l’emporta sous sa tente. L’armée s’arrêta. L’ennemi était dispersé. Tout retentit de cris et de gémissements. Julien se fit étendre sur sa peau de lion et, resté seul avec moi, il découvrit sa blessure. Je vis que le javelot était entré profondément dans le foie. Alors il me dit adieu en m’embrassant et demeura en silence, penché sur mon front, pendant un instant. Puis il reçut son sang dans sa main et le jetant vers l’Orient : « Voici, dit-il, ma seconde libation, et je le dis encore : Tu l’emportes, Galiléen ! »