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LA REVUE DE PARIS

Elle emporta dans la forêt le petit mouchoir à pois rouges pour y mettre des champignons ramassés. En arrivant sous les arbres, elle ne savait plus pourquoi elle s’était mise en route. Elle attacha le mouchoir autour de son cou, s’assit sur une pierre, et ne pensa plus à rien.

Des pas s’approchèrent sur les aiguilles de sapin. Jella ne bougea même pas. Sûrement, ce devait être Pierre. Mais celui qui marchait au milieu des troncs mordorés n’était pas son mari. Un étranger venait à travers la forêt, lentement, à pas incertains, comme celui qui n’a pas l’habitude de cheminer sur les pentes.

En apercevant Jella, il s’arrêta soudain. C’était un beau brin d’homme, de taille élevée. Une force provocante se devinait jusque dans son immobilité. Il ne se retourna pas lorsqu’il fut passé.

Le soir, Jella apprit qu’un nouveau garde était arrivé dans la maison voisine, et qu’il s’appelait André Rez.



XX


On chantait dans la forêt. Voix étrangère, chant étranger…

Jella se tourna vers ce côté, comme si elle avait voulu que la voix parvînt à son cœur et à son visage. Jamais elle n’avait cru jusque-là que la tristesse aussi pouvait chanter. C’était bien autre chose que les petits airs de sa mère, bien autre chose que les chansons entendues, en bas, dans le village.

Voix étrangère, chant étranger…

En rentrant, elle se trouva sur la ligne du chemin de fer, face à face avec celui qui demeurait dans l’autre maison de garde. L’homme, pour faire place, monta sur le talus. Jella leva les yeux vers lui. Son visage était brun et maigre. On voyait la forme de ses os. Il porta la main à son chapeau ; le soleil éclaira ses yeux. C’étaient des yeux d’un vert étrange, comme l’épi à moitié mûr dans lequel brille un peu d’or humide. Il alla plus loin.

« Comme il est jeune ! » pensa Jella, et elle voulut évoquer ce visage ; mais elle n’y réussit pas ; et cependant, elle sentait