Page:Revue de Paris - 1918 - tome 2.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Voir partout si tu veux, toi regarder partout pareil, dit Jukes qui n’avait aucune disposition pour les langues étrangères et trouvait le moyen de massacrer cruellement même le pidgin [1]. (Il montra du doigt le panneau ouvert.) Place premier choix pour coucher. Toi bien voir, hein ?

Il était bourru comme il convient quand on se sent de race supérieure, mais non pas hostile. Le Chinois contemplait tristement et silencieusement l’obscurité de l’écoutille, comme s’il se tenait à l’entrée d’un tombeau.

— Pas tomber pluie là en bas – tu vois ? continuait Jukes. Suppose toujours beau temps comme ça, le coolie monte en haut. Fait comme ça – Phoooooo ! (Il dilata sa poitrine et gonfla ses joues.) Compris, John ? respirer air frais. Bon, hein ? Lui laver pantalons, manger chow-chow en haut – compris John ?

Son imagination s’échauffait. Jouant de la bouche et des mains, il faisait simulacre de manger du riz et de laver des vêtements, et le Chinois, qui dissimulait la méfiance que lui inspirait cette pantomime sous un air recueilli, nuancé d’une délicate et subtile mélancolie, promenait ses yeux en amande de Jukes au panneau et du panneau à Jukes.

— Très bien, murmura-t-il d’une voix basse et désolée.

Puis glissant le long des ponts, contournant les obstacles, il disparut soudain dans un plongeon, sous une élingue chargée de dix sacs poussiéreux, emplis de je ne sais quelle précieuse marchandise à odeur nauséabonde.

Le capitaine Mac Whirr, cependant, s’était rendu sur la passerelle, puis dans la chambre des cartes où traînait une lettre commencée depuis deux jours, une de ses longues lettres à sa femme, qui, toutes, débutaient par ces mots : Mon épouse chérie et dont le steward avait tout loisir de se repaître entre deux coups de plumeau donnés aux chronomètres, ou deux coups de balai au plancher. Les minutieux détails sur chaque sortie du Nan-Shan intéressaient invraisemblablement le steward beaucoup plus que la femme à qui ces relations étaient destinées.

Ces pages, interminablement pleines de la constatation laborieuse des seuls menus faits auxquels la conscience de Mac Whirr fût sensible, allaient trouver Mme Mac Whirr dans

  1. Sabir en usage dans les mers de Chine.