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— Il est à moi, — mugit Héraclius, et, avec une vélocité surprenante, il élevait l’objet contesté au-dessus de sa tête, le changeait de main derrière son dos, lui faisait faire mille évolutions plus extraordinaires les unes que les autres pour le ravir à la poursuite effrénée de son rival.

Ce dernier grinçait des dents, trépignait et beuglait :

— Voleur ! Voleur ! Voleur !

À la fin il réussit par un mouvement aussi rapide qu’adroit à tenir par un bout le papier qu’Héraclius essayait de lui dérober. Pendant quelques secondes chacun tira de son côté avec une colère et une vigueur semblables, puis, comme ni l’un ni l’autre ne cédait, le manuscrit qui leur servait de trait d’union physique termina la lutte aussi sagement que l’aurait pu faire le feu roi Salomon, en se séparant de lui-même en deux parties égales, ce qui permit aux belligérants d’aller rapidement s’asseoir à dix pas l’un de l’autre, chacun serrant toujours sa moitié de victoire entre ses mains crispées.

Ils ne se relevèrent point, mais ils recommencèrent à s’examiner comme deux puissances rivales qui, après avoir mesuré leurs forces, hésitent à en venir aux mains de nouveau.

Dagobert Félorme reprit le premier les hostilités.

— La preuve que je suis l’auteur de ce manuscrit, — dit-il, — c’est que je le connaissais avant vous.

Héraclius ne répondit pas.

L’autre reprit :

— La preuve que je suis l’auteur de ce manuscrit c’est que je puis vous le réciter d’un bout à l’autre dans les sept langues qui ont servi à l’écrire.

Héraclius ne répondit pas. Il méditait profondément. Une révolution se faisait en lui. Le doute n’était pas possible, la victoire restait à son rival. Mais cet auteur qu’il avait appelé de tous ses vœux l’indignait maintenant comme un faux dieu. C’est que, n’étant plus lui-même qu’un dieu dépossédé, il se révoltait contre la divinité. Tant qu’il ne s’était pas cru l’auteur du manuscrit il avait désiré furieusement le voir ; mais à partir du jour où il était arrivé à se dire : « C’est moi qui ai fait cela, la métempsychose, c’est moi », il ne pouvait plus consentir à ce que quelqu’un prît