Madonna, je vous respecte, et Catterina sait si je l’aime. Mais, après vous deux, le reste du monde me fait horreur et pitié[1].
C’est le fait d’une âme vaine et irréligieuse.
Irréligieuse ? soit. Je suis content de ne pas croire en Dieu. Je n’ai pas la peine de le haïr, et c’est un de moins !
Oh ! mon frère ! ne blasphème pas !
Que crains-tu ? Que ton Dieu te punisse de ma faute ? Tu vois bien que tu doutes de lui.
Renzo, tu fais de la peine à Madonna.
Pourquoi pleurer sur moi, signora ? Je n’en vaux pas la peine assurément. Ne suis-je pas maudit, excommunié ? Si vous faisiez votre devoir de bonne chrétienne, vous ne donneriez pas asile à l’ennemi de l’Église. Ne savez-vous point que le pape a vendu à l’encan la tête de votre fils ? Espérez-vous gagner le ciel, vous qui dérobez une victime à la vengeance d’un pontife ?
Qu’il y a d’amertume dans toutes tes paroles !
D’ailleurs, Madonna, je suis déshonoré. Le peuple me montre au doigt. Le rejeton d’une si noble souche a pourri dans sa racine. Comment pourriez-vous encore m’appeler votre fils ? La gloire fut toujours plus chère que la vie aux illustres Soderini, et leurs enfants, moins précieux que leur honneur, servirent souvent d’holocauste sur l’autel du préjugé.
Assez, Lorenzo, assez ! Votre cœur est bien malade !
Vous avez raison, mère. Si je pouvais l’arracher de ma poitrine, je l’écraserais sous mes pieds. Cattina, lis-moi l’histoire de Brutus.
- ↑ Cf. Musset, Lorenzaccio, acte II, sc. iv :
LORENZO
Elle [Lucrèce] s’est donné le plaisir du péché et la gloire du trépas…
MARIESi vous méprisez les femmes, pourquoi affectez-vous de les rabaisser devant votre mère et votre sœur ?
LORENZOJe vous estime, vous et elle. Hors de là, le monde me fait horreur…