Page:Revue de l'Orient Chrétien, vol. 12, 1907.djvu/71

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et n’allait pas même à l’assemblée. Il avait un frère selon la chair qui demeurait dans une autre cellule. Celui-ci tomba malade et fit dire à l’autre de venir le voir avant sa mort. Il répondit : Je ne puis pas y aller parce que c’est mon frère selon la chair. Il lui fit encore dire : Viens au moins cette nuit pour que je te voie, il répondit : Je ne le puis pas, sinon mon cœur ne sera pas trouvé pur devant Dieu. Et le frère mourut sans qu’ils se fussent connus.


22. Les pères racontaient[1] qu’il existait un certain chef de communauté dont le serviteur devint négligent et quitta le monastère pour aller dans un autre lieu. Le vieillard allait constamment le trouver et le supplier de revenir, mais il ne le voulait pas. Le vieillard le fit durant trois ans et le serviteur, persuadé enfin, revint (au monastère). Le vieillard lui commanda d’aller ramasser de la paille. Pendant que le serviteur le faisait, par l’opération de Satan, il perdit un œil. Le vieillard en fut très attristé et vint le réconforter tandis qu’il souffrait, mais le serviteur lui dit : C’est moi qui en suis cause, je souffre cela pour t’avoir causé tant de fatigues. Au bout d’un certain temps, il fut délivré de la souffrance — l’affliction lui restant — et le vieillard lui commanda encore d’aller ramasser des feuilles de palmier. Pendant qu’il travaillait, par l’opération de l’ennemi, une branche se détendit et lui creva l’autre œil. Il vint donc au monastère et y vécut dans le silence sans plus rien faire. L’abbé du monastère devint malade et lorsque son appel (sa mort) fut proche, il le connut d’avance, réunit tous les frères et leur dit : Mon appel est proche, prévoyez pour vous. Chacun commença à dire : À qui nous confies-tu, abbé ? Le vieillard se tut, fit venir l’aveugle seul et lui annonça son appel. Celui-ci pleura et dit : À qui me confies-tu, moi qui suis aveugle ? Le vieillard dit : Prie afin que je trouve grâce devant Dieu et j’espère que le dimanche tu présideras l’assemblée des fidèles. Quelques jours après sa mort l’aveugle vit et devint le père de la communauté.


23. Un domestique[2] devint moine et passa quarante-cinq ans à vivre de sel, de pain et d’eau. Son maître, saisi de componction, embrassa aussi la vie anachorétique au bout d’assez de temps et devint le disciple de son propre serviteur avec grande obéissance. Le temps de sa mort arriva et il dit au vieillard : Je vois les Puissances[3] qui viennent près de moi (pour chercher mon âme) et que tes prières font retourner en arrière. — Lorsque la mort du vieillard arriva, il vit un ange à sa droite et un à sa gauche qui lui dirent : Veux-tu venir, abbé, ou devons-nous partir ? Le vieillard leur dit : Je le veux, attendez, prenez mon âme, et il mourut ainsi.

  1. L, fol. 33r. B, p. 598, n. 404 ; E, p. 723, n. 402.
  2. B, p. 764, n. 169.
  3. Nom d’un ordre des anges.