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306 LA REVUE DE L'ART Comme le dit fort bien M. G . Cohen dans un livre récent, «les mystères ont tou- jours connu ces grimaces affreuses. Ces lèvres sabrées à travers le visage, au nez épaté, aux yeux ronds et moqueurs... Ils ont connu, avec leurs ricanements, leurs gestes menaçants, leurs froncements de sourcils où il y a de l'amertune et de la colère... »«  Les grimaces du rire et les contorsions de la douleur, voilà en deux mots toute la mimique des acteurs de mystères". » C'est aussi ce que peignit Bosch, et peut-être crut-il, comme les acteurs des drames religieux, émouvoir et édifier ceux pour qui il exécuta les compositions bizarres appartenant à cette catégorie. On sait de plus que les peintres « drôles » recherchaient les personnes les plus laides et les plus contrefaites pour figurer dans cette sorte de tableaux. Van Mander assure avoir vu un Ecce Homo à mi-corps, grandeur naturelle, où se trouvaient repré- sentés plusieurs portraits de personnagesrenommés par leur laideur, faits de mémoire ou d'après nature. Le bourreau tenant le Christ n'était autre qu'un sergent nommé Pierre Muys, bien connu alors à Haarlem, pour son visage grotesque et son crâne couvert d'emplâtres .Remarquons ici que le mauvais larron du Portement de M Croix, de Gand, porte également un emplâtre dans ses cheveux ébouriffés. «  La vie au moyen âge ne se concevait pas sans le tortionnaire et le bourreau : il en était de même dans les mystères... Et le pis est que ces abominables procédésdes bourreaux et des tyrans excitaient parmi le public plus de joie que de dégoût ou d'horreur 3. » Certains de ces tortionnaires étaient même populaires, tel ce Daru, qui. dans les Actes des Apôtres, se transporte dans divers pays pour exécuter les hautes oeuvres des plus affreux despotes païens et qui annonçait sa venue en chantant joyeusement: C'est Daru, Bon pendeur et bon escorcheur, . Bien bruslant homme, bon trancheur De têtes -' ., ajoutant qu'il avait de qui tenir : son grand-père avait été pendu, sa mère était- proxénète, sorcière et avorteuse, son père avait été brûlé vif, son frère décapité. Il n'y a pas de scène plus ignoble, ni plus révoltante, que celle qui se déroule dans la Passion de Jean Mie/tel, dont nous parlions plus haut, et où Malchus et ses acolytes tirent au sort les parties du corps du Christ attaché à la colonne, pour les attribuer aux coups de chacun. Ils le couvraient de leur immonde salive, puis criaient en le raillant : Il est tout gasté De crachas amont et aval 1. Gustave Cohen, op. cit., pp. 234-235. 2. C. Van Mander, le Livre des Peintres (traduction et commentaires de M. H. Hymans), t. I, p. 264. Ce tableau est attribué par van Mander à Jean Mostaert. 3. G. Cohen, op. cit., p. 267. - 4. Actes des Apôtres, livre 111, fol. 34, y. (Bibl. royale de Bruxelles, Incunables, 11, 64427) et G. Cohen, op. cit., p. 267. 3. Jean Michel, le Mistère de la Passion joué à Angiers en 1486 (Bibl. nat., Incunables, yf, 69. Inv. rest.) et G. Cohen, op. cit., p. 268.