Page:Revue de l'art ancien et moderne, juillet 1906.djvu/423

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350- LA REVUE DE L'ART A prendre Courbet trop au sérieux en tant qu'homme, on risque, il nous semble, de le méconnaître. Faute de le connaître assez bien — comment ne tint-on pas compte en haut lieu de cette spirituelle note de police le concernant : « tapageur, mais peu dangereux ? » — on lui prêta de son vivant un rôle et des intentions dont il était incapable : n'est-il pas aujourd'hui démontré d'une manière irréfutable que Courbet n'eut aucune responsabilité dans la mémorable affaire du déboulonnement de la Colonne, pour laquelle, pourtant, il fut bafoué, accablé d'ennuis et de chagrins, ruiné presque, condamné, mené à l'exil ; par laquelle même, certainement, sa mort fut hâtée !... Mais nous n'avons pas le loisir d'étudier ici particulièrementl'homme — il est, en dépit de ses ridicules, beaucoup plus sympathique que sa réputation — ni de montrer le «politicien». Nous parlerons du peintre. On a dit de Gustave Courbet qu'il peignait comme il respirait. Il y a peu d'exemples, en effet, d'une vocation aussi spontanée et impérieuse que la sienne, et il apparaît dans l'histoire de la peinture l'une des indi- vidualités les plus fortement douées. Il lui échut d'être le continuateur de l'évolution vivifiante timidement commencée par Gros et qu'après celui-ci Géricault, plus convaincu, eût menée assez loin si, brutalement, la mort ne fût venue l'interrompre dans sa belle tâche. Courbet est entré en scène au moment où la peinture s'affadissait, s'anémiait par la faute des sous- romantiques et des classiques à l'eau de rose. On était dans une période d'écoeurante, d'obsédante politesse. Courbet survint, homme mal élevé providentiel, et il prononça: «La peinture, c'est moi; la nature, c'est moi; la vérité, c'est moi». Non seulement il dit cela, mais il le hurla. Et nous écrirons très sérieusement qu'à cette époque-là il importait peut-être que ce fût hurlé. Les vrais réacteurs contre l'académisme appauvri sont immédiatement avant-Courbet, il importe de lé dire,Tes maîtres paysagistes de 1830. Mais des hommes comme Rousseau et Corot vivaient trop isolés", trop indépen- dants',-, et, d'ailleurs, étaient encore trop méconnus, pour que le bienfait de-leurs oeuvres se fît puissamment sentir. Et qui sait d'ailleurs, sans Courbet et les doctrines qu'il proclamait avec tant de bruit, d'entêtement ét de cynisnïe, qui'sait si ces maîtres-là n'auraient pas attendu plus long- temps leur'juste gloire ?