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H. BOUASSE. — sciences mathématiques et expérimentales

a la cinématique, puis la mécanique rationnelle ; qu’en particularisant les postulats, on a la physique mathématique. En un sens tout cela est exact, si l’on veut bien ajouter, et ce que nous montrerons dans cette étude, que cette étendue, ce nombre, ce temps, ces forces n’ont à priori rien de commun avec l’étendue, le temps, les forces réels ; on a étudié non les choses, mais la définition qu’on a donnée des choses ; on a donc obtenu seulement des formes, des moules vides qu’une autre géométrie, une autre cinématique, une autre mécanique, celles-là expérimentales, seront chargées de remplir et d’utiliser.

Ce nombre, cette étendue, ce temps que nous rencontrons dans les sciences mathématiques, ne sont que les conditions, les modes de notre pensée, et en ce sens nous ne pouvons formuler une proposition et à fortiori construire un raisonnement, sans les employer tous les trois. C’est pourquoi nous avons dû mettre la logique en tête des sciences mathématiques qui n’en sont que le prolongement et le complément.

L’opération initiale sur les nombres est de discerner s’ils sont égaux ou inégaux ; l’opération initiale sur l’étendue est de reconnaître si deux aires empiètent ou n’empiètent pas l’une sur l’autre, peuvent ou non se superposer ; l’opération initiale sur le temps est d’exprimer qu’un fait a précédé ou suivi un autre fait. Or, ces opérations, la moindre proposition les contient. Pour dire que « les hommes sont mortels », outre la notion de temps exprimée par le verbe, il faut avoir la notion du plus ou moins de généralité des idées, ce qui implique que nous savons compter ou mesurer. Je ne prétends pas qu’il soit nécessaire de posséder tel ou tel système de numération ou de connaître les procédés de quadrature des aires ; il nous faut avoir l’idée que ce compte et cette mesure sont possibles, et d’une façon assez précise pour pouvoir dire qu’une collection d’individus est plus nombreuse qu’une autre collection, que l’étendue d’une idée est plus vaste que l’étendue d’une autre idée. Je ne joue pas sur le mot étendue ; on ne peut se représenter l’extension d’une idée que par deux procédés, l’un discontinu, le nombre, l’autre continu, la longueur d’une ligne, l’aire d’une surface, le cube d’un volume.

Assurément dans une proposition intervient autre chose que le nombre pris abstractivement. Quand je dis que « quelques hommes sont beaux », je dis non seulement que le nombre des hommes est