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superstitions », à entretenir « la lumière de la raison toujours aussi faible, toujours aussi vacillante que jamais ».

Inspirés de son souffle, ils convièrent « à se rapprocher d’eux ceux en qui elle brillait silencieusement, comme la lampe des soirs laborieux ».

Telle était l’idée maîtresse de l’appel que M. Darlu avait rédigé de sa propre main pour le premier numéro de la Revue, et s’il est vrai qu’elle a contribué à provoquer dans notre pays une renaissance de la pensée philosophique, c’est pour nous un devoir de dire ce que nous lui devons.

Le philosophe était à la hauteur du maître. Volontairement absorbé dans des tâches qu’il dépassait, il n’a laissé apercevoir que par instants et par lueurs où l’eût conduit le développement systématique de sa pensée. Mais la profondeur et l’originalité éclataient aux yeux des plus indifférents, dans la moindre démarche de son esprit. Il s’était fait lui-même ; il était né à Libourne, le 20 mars 1849. Son père, que ses opinions républicaines avaient rendu suspect à l’Empire et même fait envoyer un moment en disgrâce à Carpentras, enseignait encore l’histoire au collège de Bergerac quand Darlu, après avoir, à trois mois d’intervalle, passé ses deux baccalauréats, devint, à seize ans, régent de sixième au même collège. Licencié à dix-neuf ans, en 1868, peu après la mort de son père, il fut initié à la philosophie par le Platon d’A. Fouillée, que lui avait prêté son ancien élève Fernand Faure. Sans maîtres et sans cours, sans autre préparation que la méditation de quelques grandes œuvres, il se présentait, en 1871, à l’agrégation de philosophie. Il y était reçu le premier ex aequo avec Alfred Espinas. Il professa successivement à Périgueux, à Angoulême, à Bordeaux, à Paris. Il avait conservé de ses origines une sorte de candeur provinciale qui était à la fois une surprise et un charme. Sans se préoccuper des personnes, il disait droitement ce qu’il croyait être la vérité. Sévère pour les manquements à la conscience, pour les suffisances de la vanité qui étaient, à ses yeux, des offenses contre l’esprit, il jugeait avec l’élan d’une conviction ardente, toujours prêt d’ailleurs, en toute sincérité, à se rectifier lui-même.

Les hauts postes qui lui furent confiés, il ne les avait ni sollicités ni ambitionnés.

Quand il s’agit de quitter Condorcet pour aller professer à l’école normale de Sèvres, il fallut presque lui faire violence. Il ne s’y décida que par devoir ; mais tout regret cessa quand il eut pris possession de ses nouvelles fonctions : déjà il était le collaborateur intime de Félix Pécaut à Fontenay-aux-Roses ; c’était désormais tout l’enseignement féminin qu’il