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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

il applique à une longueur quelconque prise : comme unité l’opération mentale qui est constitutive de cette série.

Que d’ailleurs une pareille opération soit toute naturelle, qu’elle manifeste la loi de l’activité rationnelle, c’est ce qui ne fait plus de doute depuis le XVIIe siècle. À Bayle qui aiguise l’ironie de son bon sens au spectacle des paradoxes de la géométrie des indivisibles, tels que la découverte de figures d’une longueur, infinie égales à des espaces finis Leibniz répond « Il n’y a rien de plus extraordinaire en cela que dans les Séries infinies, où l’on fait voir que

, etc.

est égal à l’unité[1]. »

Aussi rien n’atteste mieux la différence de structure entre la pensée antique et la pensée moderne que l’usage fait par Zénon d’Elée de cette même série qui était destinée à devenir le modèle de la clarté intellectuelle. Entre ses mains, elle est une arme dialectique et destructive, elle met en déroule les premières spéculations des mathématiciens sur les relations de l’espace et du temps en interdisant à l’esprit humain d’obtenir l’intelligence d’une quantité totale par la mesure de ses parties. C’est qu’en effet pour le réalisme d’un Eléate c’est là représentation de la totalité des termes, et non la régularité de la loi de formation, qui peut assurer l’existence de là série. Il faudrait donc expliciter et saisir dans l’intuition spatiale tous les membres de la progression géométrique dont la somme équivaut à la ligne tout entière. Or les ressources de l’imagination s’épuisent à la poursuite de cette représentation ultime qui serait nécessaire pour parfaire la ligne à décomposer. Un mobile qui aurait à parcourir toutes les divisions d’une ligne n’arrivera jamais à la parcourir tout entière.

De cette proposition peuvent se tirer deux conséquences contradictoires, qui ont été toutes deux attribuées à Zénon d’Elée, l’une que le mouvement n’existe pas, l’autre que l’existence du mouvement réfute l’hypothèse d’une pluralité discontinue d’éléments. Mais nous pouvons laisser de côté, comme inutile à notre objet, le problème délicat de choisir, en l’absence de témoignages péremptoires, entre ces deux interprétations. Nous n’en retiendrons que l’élément commun, le principe en qui se résume l’argument de la dichotomie, c’est-à--

  1. Philos. Schr., Gerhardt. t. IV, p.570.