Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 3, 1911.djvu/49

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moral, et qui s’accorde avec la nature puisque cette nature est son œuvre.

IV

Lagneau donne de préférence à la preuve qu'il substitue à la preuve kantienne le nom de preuve réflexive. Cette preuve reste bien, sans doute, comme l'a jugé Kant, une preuve morale, en ce sens qu'elle est fondée sur l'acte moral, c'est-à-dire sur l'affirmation du devoir ; mais comme, selon Lagneau, un tel acte, c'est-à-dire une affirmation de valeur se trouve impliquée au fond de tout jugement quel qu'il soit, des jugements de faits comme celui-ci : « la neige est blanche », aussi bien que des jugements moraux proprement dits affirmant que quelque chose doit être, la preuve de l'existence de Dieu est liée à toute réflexion de la pensée sur elle-même, à tout effort de la pensée pour se comprendre et se justifier. De plus c'est une preuve métaphysique, en ce sens qu'elle ne peut convaincre notre esprit qu'à la condition qu'il dépasse la réalité donnée, c'est-à-dire l'existence, et la réalité intelligible ou vérité ; elle ne s'impose pas à nous ; elle est posée par une libre affirmation en chacun de nous, affirmation non arbitraire cependant, car la pensée se rend compte que si elle ne posait pas la réalité de Dieu, elle ne pourrait rien affirmer ; l'impossibilité où elle est de se suicider servant donc, en quelque sorte, de garantie à cette preuve. Elle nous apparaît par suite comme plus rigoureuse et plus directe que celle de saint Anselme et que la preuve kantienne. Saint Anselme prétendait prouver aux athées que par cela même qu'ils nient Dieu, ils l'affirment, puisqu'ils en ont l'idée et que l'idée de l’être parfait entraîne son existence. Mais est-il vrai que nous ayons l'idée de Dieu, et ce mot est-il autre chose qu’un flatus vocis, et s'il a un contenu, n'est-il pas fondé sur la perception du donné, c'est-à-dire du relatif ? Kant fonde sa preuve sur le devoir ; mais le lien qui rattache Dieu à cette affirmation n'est pas tellement étroit, comme nous l'avons vu, dans sa preuve, qu'on ne puisse concevoir l'un sans l'autre. D'autre part, ne peut-on faire la critique de l'idée du devoir, et ne voir en elle qu'un simple produit de la conscience sociale ? Il y a pour Kant tout un ordre de vérités, indépendant de la volonté ; la négation du devoir n'a pas pour conséquence la négation de la science ; on peut donc supposer que la notion de devoir n'est pas primitive et qu'elle dérive