Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 5, 1910.djvu/39

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chaos des sciences. Il ne manquera pas de la rapprocher de la notion qu’il emprunte à la science économique. Qui dit série, dit entre autres choses, en même temps que spécification des groupements, coordination des unités. Or des groupements spécifiés d’unités coordonnées ne sont-ils pas précisément les fruits naturels de la division du travail ? C’est pourquoi sans doute Proudhon écrira de la division du travail qu’elle est la série elle-même se manifestant aux yeux, « s’incarnant dans la société ». Et ainsi, par deux côtés à la fois, la notion de série s’adapte à celle de travail du côté de la nature et du côté de la société. On peut définir le travail humain comme un effort pour superposer ou pour substituer, dans les corps, des séries artificielles aux séries naturellesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. : il change les rapports des éléments ; il modèle ainsi des espèces inédites. Mais pour accomplir cette transformation du monde, encore faut-il que les hommes engrènent eux-mêmes leurs activités selon certains rapports. C’est ainsi qu’ils forment des séries sociales qui sont comme les substrats de la force collective.

Notons que si Proudhon généralise de la sorte la remarque des économistes, il n’ira pas jusqu’à prendre à son compte l’affirmation dont beaucoup, parmi les réformateurs socialistes de son temps, se contentaient : « L’association est créatrice ». Les formules de ce genre lui paraissent vagues, et lourdes de mysticisme. Sur ce point, il se sépare nettement de Fourier, comme de Pierre Leroux et de Louis Blanc. Dans l’Idée Générale de la Révolution au xixe siècle il critique avec véhémence le principe sociétaire[1]. C’est qu’il y voit, en même temps qu’une synthèse d’idées confuses, une menace pour la liberté individuelle. « L’association, présentée comme institution universelle, principe, moyen et but de la révolution, me paraît cacher une arrière-pensée d’exploitation et de despotisme ». En fait, l’association n’a, par elle-même, aucune vertu organique ou productrice : bien fou qui, pour laisser le champ libre à cette puissance problématique et suspecte, rabattrait l’initiative des individus. Mais considérez seulement avec attention le mécanisme de la division du travail. Les collaborateurs ici restent autonomes et chacun d’eux dépense de son côté une énergie entière : on voit pourtant naître de leurs énergies 1. Cr. de l’ordre, p. 269. 2. Ibid., p. 265. 3. 4.

  1. Idée générale de la Révolution, p. 88.