Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 1, 1921.djvu/6

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pris à part chacune des parties de la doctrine, pour la rattacher aux travaux antérieurs qu’elle a mis à profit, et qui en expliquent l’orientation. À mesure donc qu’il expose les théories diverses de Campanella, il nous fait connaître la physique et la psychologie de Telesio, les idées sur la science de Paracelse et d’Agrippa de Nettesheim, la magie de Giovanni Baptista della Porta, les théories politiques de Guillaume Postel, Jean Bodin et Pierre Charron, les vues religieuses de Pomponace, Nicolas de Cusa et Giordano Bruno.

La richesse et la sûreté de l’information, la précision de l’érudition, le nombre des références bibliographiques font ressortir encore davantage le talent de M. Léon Blanchet comme historien, comme écrivain, et aussi comme psychologue. Au centre de son ouvrage est la personnalité de Campanella, dont il s’efforce de pénétrer le secret, en accumulant les arguments qui nous empêchent de mettre en doute la sincérité du rêve de Campanella, pour la réforme de la République chrétienne, « conformément à la promesse faite par Dieu à sainte Catherine et à sainte Brigitte ». Campanella, finalement, serait comme un précurseur des modernistes, et les lignes suivantes nous paraissent bien éclairer le fond de la pensée de Léon Blanchet :

« Quelle preuve psychologique plus intéressante pourrait-on donner des ressemblances qu’à trois siècles d’intervalle introduit, entre sa tentative religieuse et celles des modernistes, une intuition commune de l’inestimable bénéfice spirituel retiré par les catholiques de la continuité de la vie morale, et de l’étroite communion des esprits et des cœurs que, grâce à sa forte organisation et à son caractère profondément social, l’église romaine a su et sait encore réaliser au sein du vaste groupement des fidèles soumis à sa loi ? »

Les Antécédents historiques du « Je pense, donc je suis », par Léon Blanchet, professeur agrégé de philosophie au lycée de Marseille (Préface de M. Émile Bréhier, maître des conférences à la Faculté des lettres de Paris), 325 p., in-8, Paris, Alcan, ̃1920. — Descartes passait, il y a une trentaine d’années, pour l’auteur sur lequel il paraissait le plus difficile de dire du nouveau. C’est pourtant une thèse en grande partie nouvelle que Léon Blanchet soutient dans cette étude sur les Antécédents du Cogito. Blanchet a eu le mérite de s’attacher à creuser la doctrine si complexe de saint Augustin, de remonter pour en approfondir la portée jusqu’à Platon, qui lui-même est moins une source qu’un confluent (et Blanchet avait l’intention de pousser la recherche des Antécédents du Cogito à travers la philosophie grecque). Chez Plotin et chez saint Augustin, le Cogito est orienté vers une métaphysique de l’illumination divine, et cette orientation rend bien compte du fait, signalé par les critiques du cartésianisme que le Cogito, loin d’être un point d’arrêt dans la subjectivité de la conscience, est une simple étape vers la possession d’un Dieu plus intérieur à l’âme que l’âme elle-même et à qui l’on demande le fondement de la certitude scientifique.

D’autre part, l’historien de Campanella trouve chez celui-ci un anneau de la chaîne qui relie saint Augustin à Descartes. — Certes, Campanella ne fut pas inconnu de Descartes ; mais Descartes s’est-il attaché à l’étudier suffisamment pour qu’on lui attribue une action sur le développement de la métaphysique cartésienne ? Descartes, si dédaigneux et si peu patient à l’égard d’autrui, si épris de la rigueur claire et distincte du raisonnement, ne devait-il pas être rebuté par le fatras qu’avait rejeté un Montaigne et auquel s’attarde un Bacon, des superstitions puériles et des pratiques occultes ? Questions difficiles et délicates que Blanchet a eu le mérite de traiter, sous leurs aspects divers, avec la double puissance d’une documentation exhaustive, d’une originalité loyale et persévérante.

Proudhon et notre Temps, Préface de C. Bouglé, professeur à la Sorbonne. L’ère Proudhon (Guy-Grand). Proudhon et le Mouvement ouvrier (Harmel). La philosophie du travail et l’école (Berthod). La Marianne des champs (Augé-Laribé). Proudhon banquier (Oualid). Proudhon et l’impôt (Roger Picard). Proudhonisme et Marxisme (Piron). Proudhon et la guerre (Puech). Proudhon fédéraliste (Bouglé) ; 1 vol. in-12 de xv-255 p., Paris, Chiron, 1920. — Nous avons eu le Proudhon des syndicalistes. Nous avons été surpris par l’apparition d’un autre Proudhon, plus bizarre : celui des royalistes et des néo-cléricaux. Voici le Proudhon des radicaux-socialistes. Karl Marx saluerait sans doute avec joie la publication de M. C. Bouglé et de ses collaborateurs : il n’avait donc pas tort de considérer Proudhon comme un « petit bourgeois ».

Mais peut-être Karl Marx avait-il tort. Nous reconnaissons la compétence, la conscience, le talent des auteurs qui ont con-