Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 2, 1908.djvu/4

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physiologiste, les hommes ne sont pas des femmes, ni les femmes des hommes : là n’est pas la question. Proclamer l’égalité des sexes, ce n’est pas proclamer leur identité. L’auteur admet leur « équivalence » : quel féministe réclamerait davantage ? L’auteur combat la réduction des faits psychiques aux faits physiologiques : pourquoi fonde-t-il sur des raisons exclusivement physiologiques sa condamnation tel « scientifique » du féminisme ? Quant à la condamnation portée au nom de la morale, elle ne repose que sur des réflexions subjectives ou sur l’observation de quelques cas particuliers ; l’auteur a tort de généraliser ; il est possible que le féminisme soit responsable de la « crise du mariage » ; mais rien ne prouve que cette crise, si elle est réelle, soit durable. Le meilleur chapitre de cette section est celui où l’auteur oppose le féminisme décrit par la littérature scandinave (qui pose des problèmes de morale individuelle) à celui que décrit la littérature française (qui pose des problèmes juridiques).

Qu’est-ce que le « moralisme » dont nous parle la troisième partie ? L’auteur a changé le sens ordinaire du mot. Ce n’est pas une doctrine qui mettrait la morale au premier plan et construirait en fonction de la morale et la logique et la métaphysique. C’est un besoin de croyance morale « dû au bouleversement de toutes les valeurs jusqu’alors acceptées ». Ce besoin trouvera-t-il satisfaction dans la doctrine de Mæterlinck ? Lirons-nous Sagesse et Destinée comme une nouvelle Bible ? Non, car la doctrine, si belle qu’elle soit, est incohérente, à la fois mystique et rationaliste. La morale future reposera-t-elle sur les relations familiales ou sur l’amour ? Elle n’y trouverait pas un fondement stable, car la notion de parenté évolue et l’amour change de nature : rationnel chez les Grecs, passionnel chez les chrétiens, il combinera sans doute dans l’avenir ces deux éléments. Quel sera donc le principe de la croyance moderne ? « La solution n’est peut-être pas dans une réponse immuable, mais dans la sincérité et l’effort croissants avec lesquels la recherche sera poursuivie… indéfiniment. » — Voilà, quoi qu’en pense l’auteur, qui n’est pas très encourageant. Car on ne nous dit même pas dans quel sens il faut chercher. Et l’ouvrage fournit à cet égard des indications contradictoires. L’intellectualisme est, pour l’auteur, un ennemi. Mais le mysticisme lui paraît mort. La « sincérité » est recommandée dans la préface, mais le « mensonge vital » paraît parfois préférable (p. 96). Heureusement, l’auteur n’a pas examiné toutes les doctrines et tous les faits qui permettent d’avoir confiance dans une Éthique moderne ; son choix est même très arbitraire, et ses conclusions, par suite, sont fragiles.

Philosophie des Sciences sociales (tome III). Conclusions des Sciences sociales, par René Worms, docteur en droit, docteur ès lettres, agrégé de philosophie, agrégé des sciences économiques, directeur de la Revue internationale de Sociologie. 1 vol. in-8 de 310 p., Paris, Giard et Brière, 1907 — Ce volume termine le traité de philosophie sociologique entrepris par M. Worms ; le tome I (Objet des Sciences sociales) a paru en 1903, le tome II (Méthode des Sciences sociales) en 1904. C’est une intéressante tentative pour résumer d’une manière synthétique l’ensemble de nos connaissances actuelles en sociologie. Tout y est traité : le milieu, la race, la population, les groupements sociaux, le moment, l’individu, la vie économique, la vie familiale, les mœurs, la religion, la science, l’art, le droit, la politique, et l’évolution sociale. Il est assurément très méritoire de condenser tout cela en trois cents pages. Cependant certains esprits chagrins, — dont nous avouons être, — habitués au spectacle des recherches austères et vraiment scientifiques de l’école de M. Durkheim, et sachant au prix de quel minutieux labeur se paie le moindre résultat positif, ne pourront se défendre d’un mouvement d’inquiétude en voyant avec quelle aisance M. Worms aligne ses conclusions. La préface contient sans doute des déclarations fort sages : « Nous tâcherons… de dégager en quelque sorte la moyenne des jugements des hommes compétents et modérés, en faisant ainsi une œuvre aussi impartiale et aussi objective que nous le pourrons » (p. 2-3). Ce souci d’objectivité est louable ; mais avant de faire « la moyenne » des jugements, une bonne critique des matériaux employés serait nécessaire, et c’est ce que M. Worms ne nous donne pas. Les opinions de Taine, Renan, Le Play, Spencer, Tarde, etc., sont toutes acceptées et s’accordent on ne sait trop comment. D’autre part, le livre fourmille de postulats que bien des sociologues modernes, et non des moindres, n’accepteraient vraisemblablement pas. Par exemple il est décrété (p. 6) que c’est la race blanche qui offre le plus d’intérêt à l’étude, et surtout considérée dans les temps modernes. « Qu’importerait à l’art (social) une science sociale fondée uniquement sur la connaissance, même supposée parfaite, du préhistorique ? De tels