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philosophie ne peut être aujourd’hui que provisoire, et, en construisant cette philosophie, il faut tenir compte des valeurs. Si je reprochais quelque chose à M. Bergson, ce serait de n’être pas allé assez loin dans ce sens, d’avoir traité la question avec quelque timidité… D’ailleurs, à mon avis, sa métaphysique est religieuse, car ce qui départage la métaphysique religieuse de celle qui ne l’est pas, c’est que, dans la première, Dieu, ou ce qui y correspond, prend parti dans le drame qui se déroule, tandis que la seconde le représente, avec plus de consistance, mais bien moins de vérité, comme le spectateur indifférent de cette multiplicité dont il constitue l’unité. Or la supra-conscience de M. Bergson prend certainement parti… Elle a des qualités quasi esthétiques et quasi morales… Bien plus, création, liberté, vouloir, quelque grandes que soient ces réalités, ne peuvent mériter notre amour que si nous connaissons où elles tendent. Si les valeurs doivent entrer en ligne de compte, sûrement il vaut mieux invoquer Dieu et ses desseins qu’une supra-conscience qui n’en aurait pas. »

— Suit une très intéressante conférence de M. Bergson, donnée sous le patronage de Huxley à Birmingham le 29 mai 1911, Vie et conscience. Conscience, dit l’auteur (p. 27) signifie avant tout mémoire. Et (p. 42) : si, dans chaque domaine, le triomphe de la vie se traduit par la création, ne devons-nous pas penser que la raison dernière de la vie humaine est une création qui, à la différence de celle de l’artiste ou de l’homme de science, peut être poursuivie à chaque moment et par tous les hommes indistinctement : je veux dire la création de soi-même par soi-même, le continuel enrichissement de la personne par des éléments qu’elle ne tire pas du dehors, mais fait jaillir d’elle-même ?

— Le prof. J. Arthur Thomson, en étudiant la vie, conclut qu’il n’y a pas une science unique de la nature. — M. Loisy, s’attachant au « Mystère chrétien », prétend établir que l’Évangile de Jésus n’était pas une religion, et que la naissance d’un nouveau culte ne fut pas due à la volonté ni à l’action directe du Christ, qui se contenta de proclamer l’imminence du royaume de Dieu.

– Le prof. Harnack, comparant « la piété grecque et la piété chrétienne à la fin du iiie siècle présente une intéressante analyse de la lettre écrite par Porphyre à sa femme Marcella, et montre que le dogme seul, ou le « mythe », sépare ce païen mystique des chrétiens : il est vrai que cela met entre l’un et les autres un abîme. »

— Le prof. Sanday d’Oxford dégage « l’élément apocalytique des Évangiles ».

— Enfin, fidèle à son esprit, le Hibbert Journal donne une large place à l’étude des questions sociales, de l’idéal moral, civique et religieux dans les classes ouvrières ; l’Évêque de Londres fait un appel aux « English gentlemen » pour le « social service. » Signalons enfin, dans le n° d’avril 1911, quelques pages de Tolstoï sur la philosophie et la religion, et un article du prof. Percy Gardner sur le sub-conscient et le supra-conscient ; dans le n° de janvier 1912 un article de Sir Oliver Lodge sur Balfour et Bergson ; et dans celui d’avril 1912, une étude de Hügel sur Eucken.


THÈSES DE DOCTORAT


Thèses de M. Terrallion, professeur au lycée de Carcassonne.

I. — La morale de Geulincx.

M. Terraillon commence par exposer le contenu de sa thèse. La morale cartésienne est fort peu connue, et a donné lieu aux interprétations les plus diverses. Il est intéressant d’en rechercher les traces chez les disciples immédiats de Descartes. Parmi eux, Geulincx mérite d’occuper une place spéciale. Intelligent et d’un esprit original, il a su voir les difficultés de la doctrine du maître, et il a cherché à les faire disparaître. M. Terraillon s’est posé à propos de lui deux questions : La morale de Geulincx est-elle cartésienne ? — Et si elle l’est vraiment, quelles indications pourra-t-on en tirer relativement au problème de la morale de Descartes ?

Avant d’en venir à l’Éthique même de Geulincx, M. Terraillon expose brièvement sa métaphysique. Comme celle de Descartes, elle part du Cogito. Pour Geulincx, notre être consiste dans la conscience de notre pensée et de notre action. Mais nous sommes impuissants et bornés. En tant qu’esprits, nous ne sommes que des modes de l’esprit divin. Notre action n’est que passivité. Dieu seul est cause. Il a mis en nous nos idées et nos déterminations et c’est lui encore qui meut notre organisme et les corps extérieurs en conformité avec nos représentations et nos décisions.

L’homme, néanmoins est libre en un sens. Il lui suffit d’adhérer volontairement au décret divin pour être en pos-