Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 4, 1914.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on peut en ajouter une troisième catégorie qui porte sur son intellectualisme et son idéalisme, d’une façon plus précise sur la critique de la désignation, qu’il développe en partant de la critique hégélienne. Les mots : ici, maintenant, moi, ne peuvent, dit M. Bradley, apporter avec eux dans le domaine de la pensée la certitude du sentiment. Mais cette critique suppose qu’en devenant des faits individuels, ils prennent place dans une série, et qu’en prenant place dans une série ils perdent leur certitude. Mais un fait individuel est-il nécessairement un terme dans une série ? D’autre part, n’y a-t-il pas des séries senties, ou des bases de séries senties dans l’expérience immédiate ? En allant plus loin, on peut se demander s’il est nécessaire, comme le dit M. Bradley, de chercher la vérité uniquement dans l’ordre des idées. Ne nous apprend-il pas que toute idée s’applique à la réalité ? La désignation n’apporte pas de certitude mais d’autre part toute idée est désignation. N’est-il pas légitime dès lors de se servir des idées, non pas pour s’éloigner de plus en plus de l’expérience immédiate, afin de la retrouver au terme transformée (et au fond niée), mais pour se rapprocher d’elle de plus en plus ? Suivant que l’on répondra d’une façon ou d’une autre à cette question, on répondra par là même a la question que posait James quand il disait Bradley ou Bergson ?

L’École et l’Enfant, par John Dewey, traduction par L.-S. Pidoux, avec une introduction par Ed. Claparéde. 1 vol. in-12, de xxxii-133 p. Neuchatel, Delachaux : et Niestlé, Paris, Fischbacher, 1913. — Les quatre études réunies sous ce titre sont fort propres à donner une idée juste et. précise des conceptions pédagogiques de_J. Dewey. C’est un vrai service que nous a rendu le traducteur en fournissant à tous les éducateurs français le moyen de profiter commodément de l’enseignement d’un des maîtres les plus justement réputés de la pédagogie contemporaine. L’excellente introduction d’Ed. Claparéde complète heureusement la publication en offrant une vue d’ensemble de l’œuvre du professeur de Columbia. et de ses expériences scolaires.

La théorie de l’intérêt, objet de la première étude, est le centre de la pédagogie de Dewey ; on peut ajouter qu’elle marque le centre vrai des études pédagogiques de ce temps, de celles du moins qui, se donnant pour tâche la pénétration psycho-sociologique du développement éducatif, présentent une valeur utile. — Le développement éducatif a son point de départ indispensable dans le mouvement spontané du développement de l’âme enfantine, et le point de jonction de ce mouvement spontané et de l’intervention éducative est précisément l’intérêt. La notion générale de l’intérêt appartient à la tradition pédagogique, et Dewey, comme W. James, la reçoit immédiatement d’Herbart Mais le sens très vif de la réalité psychique et sociale, qui caractérise la psychologie américaine, et que Dewey possède à un degré éminent, lui permet d’approfondir cette notion en la débarrassant de l’idéologie psychique d’Herbart, et de la rendre effectivement utile pour la pratique de l’éducation. Herbart cherchait à définir l’intérêt par les actions et réactions des idées considérées comme possédant chacune une intensité propre et un pouvoir de répulsion ou de fusion à l’égard de telles ou telles autres. Dewey reconnaît que les intérêts doivent être découverts par l’observation de la nature de l’enfant, où ils sont constitués comme des modes réels d’activité, des systèmes dynamiques, « seules puissances auxquelles l’éducateur puisse s’adresser ». L’éducateur n’a pas seulement à utiliser ces puissances de l’esprit enfantin pour des buts qu’il se propose en dehors d’elle : il doit voir dans les intérêts de l’enfant « des fonctions qui renferment des possibilités et qui mènent à un but idéal ».

C’est l’intérêt ainsi compris qui est là seule base légitime pour la détermination et l’emploi des programmes d’études. La seconde partie du petit livre met en lumière cette façon psychologique de considérer les programmes. Il faut regarder les objets d’étude comme étant en relation naturelle, bien que non actuellement réalisée, avec les intérêts de l’enfant. Les objets d’étude sont le fruit d’une évolution vitale de l’espèce, dont le rapport est étroit avec l’évolution mentale de l’enfant, qui dépend d’elle et la prolonge. Ainsi le tableau de la science systématique des adultes nous renseigne sur les capacités et les instincts de l’enfant, nous aide à les interpréter. Et c’est en raison de ces capacités et de ces instincts, interprétés à la lumière des sciences constituées, qu’il faut déterminer la manière dont ces sciences doivent être progressivement offertes à l’esprit de l’enfant, ou en d’autres termes qu’il faut mettre les programmes d’études en rapport avec l’expérience. « L’éducateur n’a donc pas affaire aux matières d’enseignement en elles-mêmes, mais à ces matières dans leurs relations avec un processus de croissance intégrale. » Ce ne sont point des buts arbitrairement posés, ni