Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 5, 1914.djvu/12

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intervention qui cachait une attaque toute prête ; mensonge, la protestation anglaise contre la violation de la neutralité de la Belgique, neutralité violée depuis longtemps par les Français et les Anglais eux-mêmes ; mensonge, l’entente cordiale, simple préparation de la guerre ; mensonges, les nouvelles de victoires françaises ou russes.

Et la violation de toutes les lois de l’humanité ! Atrocités commises par les Belges, crimes anglais contre le droit des gens. « Les lois de la guerre défendent l’attaque des navires neutres et de ports neutres : les Anglais ont attaqué des navires neutres, pour y chercher des Allemands, ils ont détruit des vaisseaux allemands dans les ports neutres. » Ce n’est pas une guerre ouverte qu’on nous fait, c’est une guerre de brigands.

Il faut mettre l’ennemi hors d’état de recommencer ; rendre aux Français la revanche impossible, prendre beaucoup aux Anglais, réunir à l’Autriche la Pologne russe, à l’Allemagne les provinces baltiques, libérer la Finlande. Après, ce sera la paix éternelle, dans le développement moral, assurée par la confédération de l’Europe centrale.

M. Wundt est si aveuglé qu’il déraisonne même sur la philosophie et nous croyons devoir reproduire, à titre de document, et pour montrer à quel degré d’aberration la folie du pangermanisme peut conduire un penseur éminent, un des maîtres de la philosophie contemporaine, ce qu’il écrit de notre compatriote M. Bergson (p. 18). « Que nous importe que M. Henri Bergson, qu’en Allemagne aucun philosophe sérieux n’a jamais pris au sérieux, nous traite de barbares. Ne savons-nous pas que ce philosophe nous a volé ses idées, à nous barbares, en tant du moins qu’elles valent quelque chose, pour les lancer dans le monde comme sa propre création, après les avoir revêtues des oripeaux de ses phrases. » Tout commentaire serait superflu. Au public impartial de juger et de dire que penser aujourd’hui du « philosophe sérieux » qui a signé cette brochure.

Die weltgeschichtliche Bedeutung des deutschen Geistes, par Rudolf Eucken. Der deutsche Krieg, Achtes Heft, 1 vol. in-8, de 23 p. Stuttgart, Berlin, 1914. — « Des ennemis innombrables peuvent s’allier contre nous, ils peuvent entasser l’une sur l’autre jalousie et haine, ruse et férocité, nous avons la supériorité de notre essence profonde et cette supériorité nous conférera pleinement la force de résister à toute attaque. Tenons seulement ferme, sur nous-mêmes, recourons au principe le plus profond et à la force la plus intime de notre être ; notre génie sera avec nous, nous conduira à la victoire, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre nous. »

C’est par ces lignes que Eucken conclut son étude, qui avait commencé plus humblement, à la façon d’un plaidoyer ; car il s’agit de justifier l’esprit allemand des « calomnies » de ses adversaires, de montrer « que nous sommes plus qu’on ne pense, que nous avons une signification historique qu’on ne peut nous ravir ».

Au début du xixe siècle l’Allemagne passait pour un peuple de poètes et de penseurs ; on l’appelait l’Inde de l’Europe. Maintenant elle est le peuple de la technique, du commerce mondial, de l’industrie prodigieuse ; on l’appelle l’Amérique de l’Europe. Par là elle n’est point devenue infidèle à soi-même ; ce sont là les deux éléments de sa nature ; qu’ils soient en opposition, peu importe : il n’y a pas de peuple puissant sans une opposition intérieure.

Si l’Allemagne, à une certaine période de son histoire, s’est réfugiée dans la science, dans l’art, si elle s’est crée un monde invisible, cela tient à l’épuisement de la guerre de Trente ans ; l’Allemagne se relève au xviiie siècle, mais ses membres épars sont encore incapables de se rassembler pour une activité nationale et politique ; le royaume de l’idéal est alors le seul refuge des âmes puissantes et hardies.

L’écrasement de l’état prussien à Iéna, la constatation que tout l’éclat de l’art et de la science ne sauve pas un peuple de la domination étrangère, l’effort qui en est résulté ont orienté l’Allemagne vers le monde visible où elle a fait de grandes choses, les sciences de la nature, le progrès technique, l’organisation commerciale.

Les autres peuples trouvaient leur compte à la rêverie allemande ; les Anglais prenaient la mer et les Français la terre pendant que les Allemands se contentaient de l’air. Aussi ils ont reproché à l’Allemagne d’être infidèle à elle-même : que n’en restait-elle à la poésie et à la philosophie ?

Mais l’Allemagne n’a fait que raviver une tendance profonde ; guerrière, n’avait-elle pas détruit l’empire romain, n’avait-elle pas fondé l’empire romain germanique ? Organisatrice, que n’avait-elle fait ? Villes allemandes du moyen âge, agriculture, mines, Hanse et domination des mers, industrie et inventions de toute espèce.