Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 6, 1907.djvu/13

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confiance dans les apparences sensibles, ne l’est pas assez pour construire un monde nouveau. Mais l’intelligence n’est pas le tout de l’âme ; les faits révèlent l’action d’une puissance interne qui exalte l’individualité spirituelle, et tend à lui conquérir une indépendance complète, en même temps qu’à créer un monde supérieur à l’individu. Pour échapper à la contradiction entre l’origine individuelle et l’œuvre universelle de cette puissance, l’auteur pose, comme thèse métaphysique, qu’elle n’appartient pas à l’individu, mais que, à la fois interne et universelle, par delà le sujet et l’objet, elle est la manifestation dans l’individu d’une « vie supérieure de l’esprit ». La loi de la vie nouvelle est donc de libérer cette puissance interne et de reconnaître, de créer plutôt, en soi-même ce « monde de l’esprit ». Sans doute les conditions de la vie naturelle sont défavorables. La réalisation de « l’esprit libre » se fera de vive lutte, mais celle-ci peut s’engager ; la liberté, condition nécessaire, est donnée à l’homme comme vie intérieure indépendante et comme capacité de transformation.

Dans un groupe de chapitres, les plus intéressants de tout le livre, l’auteur analyse des questions particulières, il traite de la vérité, de la réalité, des rapports entre l’homme et le monde, des tendances a priori de l’esprit. Il indique quelle révolution, quel ennoblissement éprouverait la vie humaine « unie au principe interne et premier, à l’infini et à l’éternel ». La crise finirait ; guidée par les puissances supérieures du monde de l’esprit », « la totalité de l’humanité se reposerait sur la nécessité interne, spirituelle, universelle, qui la régit. »

Dans une dernière partie l’auteur suit les conditions et conséquences de cette révolution dans tous les domaines de la vie. Ces pages, les plus riches en analyses concrètes, se terminent par cette déclaration : « En revenant de la production spirituelle à la cause productrice, la totalité de l’existence humaine m’est apparue sous un jour nouveau. » La thèse centrale du livre est, en effet, l’affirmation dans son indépendance de cette individualité spirituelle créatrice, unie seulement à la totalité de la vie de l’esprit.

Essai critique sur le système du monde, par le comte Hebmann de Keyserling, traduit de l’allemand. 1 vol. in-8 de xv-360 p., Paris, Fischbacher, 1907. — Traduction française d’un ouvrage qui a été analysé ici même (mai 1907, Supplément). « L’essence littéraire ou artistique de ce livre, écrit l’auteur dans la préface de la traduction, est tellement allemande, comme conception, comme développement, comme expression, que malgré les efforts les plus consciencieux elle ne saurait être rendue en français. Tant de mots riches, colorés, chatoyants de la langue de Gœthe n’ont pas d’équivalents dans celle de Voltaire ! La netteté abstraite de la phrase latine ne peut être, par contre, atteinte en allemand. Et c’est pourquoi bien des suites d’idées, qui semblent parfaitement enchaînées dans cette dernière langue, peuvent paraître comme discontinues en français… L’esprit français est à facettes ; l’esprit allemand est taillé en cabochon… Une pierre facettée est incapable de rendre le reflet du cabochon… Autre chose encore : la construction de ma phrase (en allemand) est inspirée essentiellement par des considérations d’ordre musical. Il est évident que ce caractère ne peut être transporté d’une langue dans une autre… La traduction est rigoureusement textuelle (sauf de rares exceptions ne touchant que l’accessoire). Ce qui veut dire : elle rend exactement le côté scientifique de mon livre, tout en ne rendant pas du tout son caractère littéraire. »

Les merveilles de la Vie, études de philosophie biologique pour servir de complément aux Énigmes de l’Univers, par Ernest Hæckel, professeur a l’Université d’Iéna. 1 vol. in-8 de xii-384 p., Paris, Schleicher, S. D. — Le présent ouvrage du professeur Hæckel évoque le souvenir de ce fameux érudit qui pouvait discourir « de omni re scibili ac quibusdam aliis ». Ouvrons en effet le livre : voici d’abord des considérations sur la vérité, sur la science, sur la vie ; plus loin, un examen de la notion de miracle à travers toutes les civilisations et toutes les philosophies ; des réflexions sur la mode et la pudeur s’encadrent entre une critique de l’impératif catégorique et des anathèmes lancés contre les « sacrements du papisme » ; esthétique et biologie, psychologie et botanique, médecine et théologie, tout est traité. Assurément, nul ne pourra accuser l’auteur d’un excès de spécialisation.

Il faut bien avouer que la valeur du travail ne correspond pas du tout à sa masse. Nous n’avons pas qualité pour en juger les énoncés scientifiques. Mais la modestie et le positivisme de bon aloi des savants contemporains nous ont habitués à trouver étranges, et pour ainsi dire archaïques, des propositions dans le genre de celle-ci : « La science moderne… nous a montré clairement que l’univers existe de toute éternité. » Le livre fourmille ainsi de déclarations méta-