Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 6, 1907.djvu/17

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du philosophe critique. Et c’est cependant peut-être l’heure où Gœthe multiplie à l’égard du « vieillard de Königsberg » les témoignages d’admiration et de respect, l’heure où il l’appelle « notre maître », « l’homme inestimable », « notre excellent Kant ».

Après cet historique de l’influence de la pensée de Kant sur Gœthe, M. Vorländer confronte les points de vue dés deux grands hommes en ce qui concerne la Connaissance, la Morale, la Religion, l’Esthétique. Il cherche les points de contact et inévitablement il en trouve, particulièrement en esthétique, mais ce sont surtout — en dépit de ces rapprochements un peu forcés — les divergences qui éclatent.

La conception newtonienne de la Nature, la mathématique mécaniste qui est au fond de la théorie de la connaissance kantienne, répugne essentiellement au génie de Gœthe. L’opposition de la nature et de la raison heurte son sens esthétique, son amour de l’harmonie, de la mesure, de la raison au sens grec du mot ; enfin le moralisme du philosophe s’oppose directement au panthéisme du poète. La conclusion de l’auteur, c’est que, s’il a subi parfois l’influence de Kant, Gœthe n’a été un Kantien ni au sens strict, ni même au sens large du mot : il était trop grand pour se mettre à la suite de quiconque, fût-ce de Kant, et l’originalité de son génie ne pouvait recevoir l’empreinte d’un autre génie qu’en le pliant à sa propre mesure.

L’ouvrage de M. Vorländer se termine par un double appendice : I, sur l’histoire des relations personnelles entre Kant, Schiller et Gœthe ; II, sur les publications provenant du musée national Gœthe, et un dernier appendice comprend : a) un sommaire des principaux ouvrages philosophiques constituant la bibliothèque de Gœthe : b) le détail des ouvrages de Kant possédés par Gœthe ; c) une liste de petits opuscules se rapportant particulièrement à Kant.

Cette simple analyse peut donner une idée de l’importance de l’étude qu’on vient de résumer ; elle ne donne à aucun degré l’impression qui résulte de sa lecture. L’ouvrage de M. Vorländer est, en effet, constitué presque tout entier par des citations, – les citations de tous les passages des œuvres ou de la correspondance de Schiller ou de Gœthe qui intéressent l’histoire du Kantisme. Et c’est de l’accumulation de ces textes, rigoureusement et chronologiquement ordonnés, que sort peu à peu la conviction.

Admirons la prodigieuse érudition de l’auteur, son impeccable probité intellectuelle, la pleine sécurité qui résulte pour le lecteur de tant de science et de conscience.

Nous nous demandons seulement si la méthode qu’emploie l’auteur n’alourdit pas peut-être la marche des idées. Permet-elle de dégager aussi rapidement qu’on le souhaiterait l’esprit de la lettre ? N’eût-il pas été possible à l’auteur de dominer les textes et de les absorber en quelque sorte dans son exposition ? Puis, s’il nous est permis de trouver en défaut sur un point l’érudition de M. Vorländer, faisons-lui observer que Schiller, deux ans avant d’avoir connu la Critique du Jugement, le 12 janvier 1789, en envoyant à Korner son poème sur les artistes, lui écrit en parlant d’une strophe qu’il a supprimée : « Voici le contenu de la strophe qui manque : « l’art constitue entre la sensibilité et la spiritualité de l’homme le terme qui les lie et fait contrepoids à la puissance de la force qui l’attire à sa planète ; il ennoblit par une illusion spirituelle le monde du sens et, en retour, il sollicite l’esprit vers le monde sensible », — ajoutant dans une lettre du 9 février : « Je possède maintenant l’idée maîtresse de l’ensemble : l’enveloppement de la vérité et de la moralité sous la beauté faite souveraine et constituant au sens propre du mot l’unité. » Ne faut-il pas voir là tout ensemble une anticipation de la future philosophie de Schiller et de l’idée maîtresse de la troisième Critique kantienne ?

Fries et Kant. Ein Beitrag zur Geschichte zur systematischen Grundlegung der Erkenntnistheorie, von Dr Theodor Elsenhans, Privatdocent der philosophie an der Universität Heidelberg. 2 vol. in-8 de 347 et 223 p., avec un index des noms propres Giessen, Alfred Töpelman, 1906. — Cet ouvrage est digne d’intérêt. Suivant une juste remarque de l’auteur (deuxième volume, Introduction), la philosophie de Kant et celle de Fries mises en rapport l’une avec l’autre et interprétées chacune grâce aux ressources que fournit l’autre, permettent de poser, et, dans une certaine mesure, de résoudre des problèmes dont la philosophie contemporaine reconnaît l’importance, des problèmes « actuels » au premier chef. — En particulier, d’après l’auteur, il sera possible de traiter la question délicate des relations entre la critique de la connaissance et la psychologie d’une façon moins simpliste, plus rationnelle qu’on ne le fait d’ordinaire. La question des limites de la connaissance en recevra elle aussi des éclaircissements. — À propos de ces vastes questions, et pour en déterminer la solution, l’auteur