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beaucoup le désirent ; il s’agirait maintenant de le penser, si on peut. M. Roussel-Despierres l’a essayé, et, il faut le dire, sans succès. Les difficultés ne sont pas aperçues ; les problèmes ne se nouent même pas ; les prétendues solutions ne sont que des juxtapositions. Un exemple suffira pour le montrer. « Il faut, dit notre auteur, que le père gouverne l’éducation de ses fils, s’en charge lui-même, s’il se peut, ou choisisse à son gré les maîtres à qui il la confiera » (p. 206). Voilà une thèse. Il ajoute, quelques lignes plus bas : « La République sanctionnera l’obligation paternelle, qui dérive de la morale, d’assurer l’éducation des enfants ». Vous voyez comme c’est simple. Le père choisit ; et l’État choisit aussi. Il est tout à fait inutile de dire que les principes opposés s’accorderont, si l’on ne dit comment.

Ce n’est donc là qu’une œuvre lyrique ; et l’on a le droit d’exiger que la forme en soit belle. Elle l’est parfois : « l’humanité marcherait-elle encore si elle ne chantait plus ? » (p. 387). Mais l’auteur écrit comme il pense, par rencontre ; et voici qui est moins beau : « tout animal a le sens très net de la propriété de sa proie » (p. 376) ; « les esprits vulgaires ne supportent pas le vertige de l’isolement » (p. 26) ; « la foi est l’antinomie même du scepticisme » (p. 23) ; « C’est une loi psychologique de marcher vers son rêve » (p. 12). Notre Bibliothèque de philosophie contemporaine compte un volume de plus, et, cette fois, il faut le regretter.

Enseignement et Religion. Études philosophiques, par Georges Lyon, recteur de l’Académie de Lille, ancien maître de conférences à l’École normale supérieure. 1 vol, in-8 de 237 p., Paris, Alcan, 1907. — La première partie de ce volume traite de l’attitude du professeur de lycée à l’égard des croyances religieuses. Trois mots, suivant l’auteur, doivent le caractériser : indépendance, neutralité, respect. N’insistons pas sur l’indépendance : M. Lyon n’a pas de peine à montrer, contre Jules Simon, que le professeur ne saurait être contraint et réduit à « prêcher », sans même essayer de les démontrer, les dogmes de la religion naturelle.

Le devoir de neutralité nous arrêtera davantage. M. Lyon ne se borne pas à justifier la loi française qui exige du maître cette vertu ; il cherche à prouver qu’elle n’est pas inapplicable. Modifiant une distinction due à W. James, il estime qu’on peut être neutre si l’on renonce à porter, en matière religieuse, des « jugements de transcendance », et si l’on se contente d’émettre des « jugements de relation » ; en d’autres termes, si l’on refuse de pénétrer dans le monde ultra-phénoménal, et si l’on demeure dans le domaine du relatif. Ce « critère » est-il suffisant ? M. Lyon consacre un ingénieux chapitre à discuter des objections : peut-on dire qu’il réfute toutes les objections ? Si le professeur s’interdit tout « jugement de transcendance », ce n’est pas seulement à la neutralité religieuse, c’est à la neutralité métaphysique qu’il se condamne : kantien, il pourra bien exposer les résultats de la Critique de la Raison pure, mais non ceux de la Raison pratique : M. Lyon admettrait-il cette conséquence de sa théorie ? ou bien, abandonnant son propre « critère », autoriserait-il, dans une classe de lycée, les jugements de transcendance obtenus par une méthode rationnelle, pour interdire les jugements de transcendance imposés par une autorité ? D’autre part, en se cantonnant dans le relatif, le professeur n’est pas sûr d’observer une stricte neutralité religieuse. La religion n’est pas seulement, comme le dit notre auteur, « l’ensemble des actes par lesquels l’âme humaine, dépassant le réseau phénoménal, » témoigne amour, respect ou crainte à une puissance surnaturelle ; elle prétend régir le monde phénoménal et ne s’interdit pas les « jugements de relation ». En racontant l’histoire du christianisme primitif, le professeur peut être obligé de trancher — fût-ce par un doute — cette question purement historique : Jésus s’est-il cru dieu ? Or, les théologiens n’admettent pas tous (voyez le nouveau Syllabus) qu’on puisse trancher cette question par la négative ou même par le doute ; ils n’admettent pas tous qu’on ait le droit de la poser. Sans doute, M. Lyon fait appel de l’intransigeance de ces théologiens au bon sens des pères de famille (p. 71 et suiv.). Mais par là même il déclare, abandonnant son premier « critère », qu’on observera une neutralité suffisante quand on emploiera une méthode rationnelle. Par sa distinction des « jugements de relation » et des « jugements de transcendance » M. Lyon voulait établir entre le domaine du professeur et le domaine du prêtre une démarcation très nette. Tentative chimérique : quelle religion se laisserait reléguer dans un monde à part, fût-ce le monde surnaturel ? Si l’on ne craignait de parodier un mot célèbre, on pourrait dire : Il n’y a pas de question religieuse ; mais il existe, pour traiter n’importe quelle question, une méthode religieuse. Et peut-être la véritable neutralité consiste-t-elle, non pas à déclarer tabous certains problèmes, mais à employer, pour les résoudre, une